dimanche 22 juin 2008

Méandres de la création

Un écrivain est invité à participer à une rencontre avec ses lecteurs suivie du jeu des questions-réponse: sur l'estrade, devant son auditoire, il écoute la présentation de l'animateur de la soirée, l'intervention d'un conférencier, spécialiste de son oeuvre, et la lecture de passages d'un de ses romans. Son esprit s'envole et se perd dans les méandres de l'ennui, très vite comblé par ses rêveries et ses débuts d'histoires.
Chaque personne croisée au cours de la soirée est une amorce de création de personnages hauts en couleur, jouant sur une large gamme de caractères et de profils: le "parrain" et son sbire, la serveuse sexy sortant d'une histoire d'amour malheureuse, le jeune homme en souffrance qui se lance dans l'écriture comme on s'accroche à une bouée de sauvetage, l'auditrice buvant les paroles de l'auteur, la lectrice dans sa solitude en compagnie de son chat, un rien possessif. Les portraits sont convaincants, on croirait lire la vie de personnes réelles.
Puis, les souvenirs familiaux de l'auteur se superposent aux débuts de vie des personnages: la fiction se mêle à la réalité, les frontières s'évanouissent pour laisser place à une réflexion sur le processus de création littéraire, sur la vie, parfois très ordinaire, des auteurs. L'auteur est un démiurge qui orchestre le quotidien, l'intimité tout comme le destin de ses personnages. Il brouille les pistes tout en se moquant des arguties intellectuelles, joutes verbieuses frôlant l'ennui profond, des commentateurs, des interprètes des romans, ces personnes qui théorisent les écrits des poètes ou des romanciers.
"Vie et mort en quatre rimes" est aussi le roman de l'acte de créer une histoire: les obsessions qui nourrissent la création littéraire, les chemins de l'imaginaire qui mènent aux trames des récits. Mais c'est aussi un regard sur la place de l'écrivain dans la société: ce dernier peut intimider, être admiré sans recul par son lectorat, devenir le modèle de vie ou l'homme idéal ou peut aussi cristalliser les fantasmes de certains lecteurs.
« Ecrire le monde tel qu'il est, tâcher d'emprisonner une nuance, un parfum ou un son dans des mots, c'est un peu comme jouer du Schubert en présence du compositeur qui ricane dans la salle obscure »
"Juste derrière elle, un adolescent, dans les seize ans, s'agite sur son siège, l'air malheureux : c'est peut-être un poète en herbe avec son visage boutonneux et ses cheveux noirs frisés, pareille à de la paille de fer poussiéreuse. Les affres de son âge et les tourments qu'il vit la nuit, dans l'obscurité, retroussent ses lèvres en un rictus proche des larmes, et à travers ses lunettes épaisses comme des chopes de bière, il voue à l'auteur...." (p 28)
Je ne connaissais pas Amos Oz, je le découvre par ce roman drôle, caustique parfois, tendre envers ses personnages. Un univers où l'érotisme furtif (la serveuse et sa culotte que l'on devine, la lectrice solitaire à la voix rauque et sensuelle) côtoie l'ironie envers soi-même, l'auteur se moque de ses atermoiements sentimentaux (monter ou ne pas monter chez Rochale qui sans doute l'attend), offrant une image désacralisée du grand écrivain. Oz met en scène toute une série de pérégrinations érotiques avant que l'auteur parvienne à conquérir la lectrice, à lutter contre son chat et à entrer dans le lit de cette dernière....sans épargner à l'auteur l'échec du à une érection en berne au mauvais moment. Il nous embarque, aussi, dans une rêverie sociale qui façonne des existences, les parcourt et les inventorie au fil de l'imagination créatrice ce qui peut désorienter le lecteur qui ne sait pas vraiment où il est. Les personnages, réels ou fictifs, se croisent et se recroisent tellement que la liste de ces derniers, en fin de roman, est un récapitulatif bienvenu pour renouer tous les fils entre eux. Récapitulation amusante, cocasse qui permet au lecteur de se remémorer avec délice les traits principaux des personnages évoqués, suivis....lecture où le rire est au rendez-vous car les commentaires de l'auteur sont savoureusement désopilants.
Une lecture agréable entre rêve et réalité où la vie des hommes est le sel de la création.

Roman traduit de l'hébreu par Sylvie Cohen



Une interview de l'auteur, par le journal La Croix, ICI

Les avis de Arsenik Jules Bellesahi (pas très enthousiaste)

Ce livre a été lu dans le cadre du Cercle des Parfumés


5 commentaires:

Anonyme a dit…

Moi non plus je n'avais pas été enthousiasmée par cette lecture. Il faut dire que j'avais tellement aimé "Un siècle d'amour et de ténèbres" !!! Je te le conseille vivement !

Katell a dit…

@cathe: "Vie et mort en quatre rimes" est le premier roman d'Oz que je lis....je note celui que tu m'indique si gentiment :-)

Jules a dit…

C'est aussi ma première OZ-expérience et j'ai acheté celui que recommande Cathe...

Katell a dit…

Je ne peux donc que le souligner et me jeter dessus dès que je le verrai à la médiathèque!

Anonyme a dit…

Premier livre de Oz que je lis également et je n'ai pas très enthousiaste, on m'a conseillée "Soudain dans la forêt profonde" à voir...