dimanche 17 octobre 2010

Le temps des contes retrouvé

Il a quatorze ans, il s'est enfui de sa famille d'accueil où il avait trouvé refuge après la mort de ses parents, il est vagabond, déguisé en roi mage avec deux autres compagnons d'infortune. Il parcourt les routes de Saxe, pauvre comme Job, libre comme le vent et avide d'aventure. Il s'appelle Krabat et il entend une nuit, au cours d'un rêve à la lisière du cauchemar, un appel étrange lui demandant de venir au moulin de Koselbruch. Après un moment d'angoisse devant la vision de onze corbeaux, Krabat reprend le cours de son errance. Seulement, l'appel revient, toujours plus insistant, toujours plus déroutant, et distille l'envie d'en savoir plus dans le coeur de Krabat. Après tout, il n'est pas une mauviette et que risque-t-il, lui qui ne possède rien?
Aussi, prenant son courage et sa curiosité à deux mains, se rend-t-il au fameux moulin de Koselbruch, traversant une forêt sombre, un marais mélancolique et inquiétant pour arriver dans une clairière écrasée par l'imposant moulin.
Krabat est confronté à l'accueil déroutant du maître, répond à ses questions et se retrouve seul dans un dortoir, des vêtements au pied du lit, vêtements qui semblent faits pour lui, ce qui ne provoque en lui que de plus grandes interrogations. Le comble de la peur lui est offert, dans la nuit, par onze visages blancs de farine, le jaugeant puis l'acceptant comme des leurs. Les onze apprentis l'accueillent, alors commence pour Krabat un apprentissage oscillant entre lumière et ombre, entre pratique d'un métier et approche de la magie. Un engrenage embarque, alors, Krabat entre l'aide précieuse et amicale de Tonda, la malignité et la méchanceté de Lyschko, la gentillesse et la malice de Juro, le benêt qui cache son jeu, et l'amour d'une jolie jeune fille du village voisin, dans un duel avec le maître, un duel pour la liberté et le libre-arbitre.
Otfried Preussler raconte les affres de Krabat, ses expériences et ses combats, dans la langue des contes traditionnels, immergeant son lecteur dans l'atmosphère sombre, angoissante et pourtant lumineuse des récit dans lesquels légendes et initiation se mêlent pour sublimer les peurs enfantines et adolescentes. Les ingrédients utilisés rappellent les sombres et mystérieuses forêts des Frères Grimm: on y entre encore enfant et on en sort grandi d'avoir vaincu des créatures effrayantes et réussi les épreuves. Otfried Preussler souffle à la perfection le chaud et le froid sur le lecteur qui suit, avec émotion, les tribulations de Krabat, son évolution et sa marche vers l'âge adulte: l'apprentissage difficile sous les coups et la douleur des fardeaux à porter, les leçons dispensées par le Maître meunier, à la frontière de la magie et des rites initiatiques des corporations du Moyen-Age, les épreuves initiatiques de la nuit de Pâques ou du marché annuel, la chappe de plomb de la nuit du Nouvel An, qui voit les rivalités entre garçons-meunier poussées à leur paroxysme, paroxysme du à la frayeur d'un tribut à payer, tribut de sang et de mort, ou encore les tentatives désespérées pour échapper à l'enchantement du moulin.
"Krabat" est un conte, aux accents modernes, qui se déroule au coeur d'une Saxe déchirée par la Guerre de Trente ans, sombre et parfois cruel qui met en valeur la résistance à l'oppression et au mal, à l'appât tellement factice des honneurs, de la gloire et du pouvoir, car obtenus par la magie noire. Il est aussi le chemin initiatique d'un jeune garçon qui découvre le sens de l'honneur, de l'amitié et surtout la force et la beauté pures du sentiment amoureux, ce sentiment si doux, si précieux qu'il permet de vaincre un Maître cruel et redonner la liberté à ceux qui en ont été privés.
Je me suis régalée à lire "Krabat" qui m'a replongée dans les délices des contes, des rites et rituels issus des croyances enfouies au plus profond d'un patrimoine culturel qui lentement se perd dans les limbes d'une modernité où la superficialité engendre la perte de la mémoire collective. Lire "Krabat" avec des yeux d'adultes permet un retour sur soi, sur ses rêves et ses angoisses d'antan qui jamais ne meurent, qui seulement sont juste un peu oubliés.
A souligner le fait, non négligeable, que ce roman jeunesse allemand, longtemps attendu en langue française, a été traduit par Jean-Claude Mourlevat, autre grand nom de la littérature jeunesse.

Roman traduit de l'allemand par Jean-Claude Mourlevat

les avis de bibliobloguons  marylène
 

4 commentaires:

nina a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Karine:) a dit…

Juste pour l'univers qui fait penser aux contes de mon enfance, je note. Ca semble mystérieux à souhait.

Katell a dit…

Si tu aimes l'univers des contes, tu ne seras pas déçue :-)

Marie a dit…

J'adore les contes... et la manière dont tu parles de ce livre me donne vraiment envie de le lire !