samedi 10 octobre 2015

Madeleine "delermienne"

Exquis titre que celui choisi par l'auteur pour son dernier opus de nouvelles. Tout comme le sous-titre, que je trouve bienvenu également « et autres belles raisons d'habiter sur terre ».

J'aime l'écriture de Philippe Delerm, tout comme l'écrivain, rencontré il y a quelques années lors d'un Salon du Livre à Paris. Il est à l'image de ce qu'il écrit : simplicité, ouverture vers autrui, douceur et à l'écoute du monde.

« Les eaux troubles du mojito » m'a rappelé son premier recueil « La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules » : pour cette rentrée littéraire 2015, Delerm nous offre de nouveaux plaisirs minuscules, des fragments de vie, du quotidien, ces multiples moments qui font que la vie vaut la peine d'être vécue.
La lecture d'une ou deux nouvelles avant de partir au travail ou en rentrant de ce dernier, s'avère être un moyen efficace pour effacer les aria rencontrés dans le monde du travail ou l'écoute des nouvelles du monde plus déprimantes les unes que les autres.
L'espace d'une aquarelle ou d'une photo jaunie par le temps, le lecteur oublie la vacuité du monde contemporain pour se délecter d'une nostalgie des plus délectables. Oui, nostalgie délectable, celle qui fait du bien, celle qui remet les pendules à l'heure, celle qui nous dit « Stop, regarde un peu en arrière et prends le temps de rêver, de ne rien faire et de penser uniquement à toi. »

Le recueil est une respiration dans notre monde qui ne vit qu'à la vitesse de la connexion internet : sa lecture nous invite à prendre son temps, à se souvenir de l'unique mojito que nous avons bu, un jour d'été, en compagnie d'amis, à la campagne. Le vert de la feuille de menthe se mêlant à la teinte ténue du jus de citron, vert et jaune, liant la transparence du rhum. La rondelle de l'agrume surplombant la banquise chahutée des glaçons, est une note ensoleillée et poétique exacerbant la fraîcheur du breuvage.
C'est une gourmandise que l'on n'oublie pas, une gourmandise qui s'ancre dans la mémoire des papilles : le sucré des Antilles, l'acidité de l'agrume et la tonicité de la menthe fraîche. Vous savez, celle qui s'épanouit, en été, dans la jardinière sur la terrasse, plein sud !
Les rires et les conversations insouciantes rejaillissent avant de s'atténuer pour rejoindre la malle des souvenirs. La fin de journée s'éclaire, la soirée s'annonce de manière agréable, le monde devient plus souriant et vivable.
Le recueil en main, on se prépare un thé pour prolonger l'état de grâce.

Une autre nouvelle m'a touchée : celle de l'enfant en pleine lecture dont le doigt suit les lettres et les lèvres disent les mots... tout bas. L'enfant répète la geste millénaire des apprentis lecteurs dans une scène que l'on peut observer dans les lieux consacrés à la lecture ou chez soi. L'entrée dans l'imaginaire s'effectue au rythme du déplacement du doigt et de l'articulation silencieuse : la fluidité est proche tout en aimant le grincement de la porte des rêves qui lentement s'ouvre devant l'infini des possibles.
Je suis toujours émerveillée de voir un jeune enfant comprendre, par on ne sait quel étrange mécanisme, le système de la combinatoire (autrement dit en français dans le texte : l'association son/lettre avec d'autres sons/lettres. Je ne suis pas certaine d'être très claire, non ? Si?), processus immémorial pour comprendre ce que signifient l'assemblage de lettres composant un mot, des mots composants d'une phrase, de phrases constituant un texte, une histoire. L'appropriation de la liberté de penser est alors en marche.

Le talent de Delerm réside dans sa capacité à exprimer, avec simplicité et poésie, ce que tout un chacun a ressenti au cours de sa vie devant les petits riens de l'existence. Ces « plaisirs minuscules » qui nous font trouver la vie sur terre si belle malgré tout ce qu'elle subit, malgré tout ce que le monde subit.

« Les eaux troubles du mojito » est à savourer lentement, longuement, pour en percevoir toutes les subtilités qu'il contient. 
Quand le blues menace de nous étreindre, ouvrons les pages du recueil et il reculera pour se tapir loin de nous.


Livre lu dans le cadre du Challenge Rentrée littéraire 2015 orchestré par Sophie Hérisson



3 commentaires:

rachel a dit…

et bin cela doit etre un livre delicat....

antigone a dit…

Bizarrement, je n'ai personnellement pas aimé. C'est curieux nos perceptions différentes. Heureusement, ce livre semble trouver ses lecteurs, tant mieux !!

Katell a dit…

Delerm est loin de faire l'unanimité: beaucoup ne supportent pas son écriture. Je me suis vraiment délectée de ces nouvelles mais je comprends très bien qu'on n'adhère pas.