Fin
XVIè siècle, l'Afrique est un continent dont les richesses
deviennent un enjeu entre les grandes puissances européennes.
Cent
ans après la découverte de l'Amérique, la soif d'aventure est loin
d'être éteinte chez les explorateurs, les cartes du monde ont des
contours de plus en plus précis, les côtes sont les portes d'entrée
à l'intérieur de la terra incognita.
Le
Portugal et sa flotte sont les éclaireurs au seuil d'un autre
nouveau monde : l'Afrique, son immensité et ses richesses. Le
royaume du Kongo, terre d'accueil évangélisée, terre généreuse
et flamboyante, sera le théâtre d'un commerce qui marquera à
jamais l'Afrique noire.
Nsaku
Ne Vunda nait vers 1583 sur les rives du fleuve Kongo. Orphelin de
naissance, il est élevé par des parents adoptifs et entouré d'un
océan d'amour, de tendresse et de douceur. D'une intelligence
précoce, il suit les cours à l'école des missionnaires de
Mbanza Kongo, la capitale du royaume.
Il est ordonné prêtre, reçoit une « cure » où il
porte la parole des Evangiles. Sa vie s'écoulait sereine,
harmonieuse jusqu'au jour où le roi du Kongo fait de lui son
Ambassadeur auprès du Saint-Siège de Rome.
Sa
mission seccrète: convaincre le Pape d'intercéder auprès des
monarques d'Europe pour abolir l'esclavage.
Ce
qu'il ne sait pas c'est que le navire Vent
Paraclet de
Louis de Mayenne
est un bateau négrier en partance pour le Brésil avant de rejoindre
l'Europe.
Commence
un voyage douloureux où horreur, terreur, doutes, compassion et
haines scanderont le rythme des jours et des nuits au point où le
temps ne sera plus le temps. Le navire est un « no man's land »
spatial et temporel. Plus rien n'existe, plus rien n'est connu, plus
de repères où s'ancrer, plus de guide pour avancer. Les ténèbres
des abysses de l'âme humaine sont une chape de plomb sous laquelle
sont brisées les identités, les souffles, les souvenirs du monde
d'avant.
Lui
est noir et libre, eux sont aussi noirs mais enchaînés et brisés.
Sa foi vacille, sa détermination à mener à bien sa mission n'en
est que plus grande.
Il
se lie d'amitié avec un jeune mousse, il affrontera les tempêtes et
les pirates dans les Caraïbes, mille et un tourments pour échouer
sur une plage espagnole.
La
Sainte Inquisition règne sans partage sur les consciences, use et
abuse de son pouvoir pour terroriser, meurtrir et torturer.
Nsaku
Ne Vunda, baptisé Dom Antonio Manuel lors de son ordination, sera
emprisonné dans les geôles de l'Inquisition sans espoir de
délivrance.
Le
Destin, ou la Foi ?, lui donnera la force de survivre aux
tortures et il sortira, identique à ses frères esclaves, affaibli,
littéralement transformé par la détention où l'individualité est
niée.
Pourtant
sa détermination reste. Grâce à elle, il ira au bout de ses forces
et de son destin... à Rome.
Un
océan, deux mers, trois continents, est un roman protéiforme où
l'aventure se mêle à l'apprentissage. Il est aussi le reflet d'une
Passion, celle d'un prêtre doté d'une réserve inépuisable de
compassion, d'amour pour son prochain et de foi dans le message
d'amour du Christ.
On
peut voir sa statue en marbre noir, son effigie appelée « Nigrita »,
à Rome, érigée à la demande du Pape Paul V en 1608. Mémoire
muette d'un commerce triangulaire qui fit le lit, en Europe, de
grandes fortunes.
Morceaux
choisis :
« Je
me suis tu il y a plus de quatre cents ans, mes mots se sont perdus
dans le silence de la mort mais, aux curieux qui s'arrêtent un
instant devant mon buste, j'aimerais dire combien je regrette d'avoir
été, au fil des siècles, réduit à la couleur qui jadis teintait
ma peau. Je souhaiterais leur raconter mon histoire, parler de mes
croyances, des légendes de mon peuple, évoquer la folie des hommes,
leur grandeur et leur bassesse. Si les badauds pouvaient seulement
m'écouter, ils prendraient conscience que sous la pierre qu'ils
contemplent quelques secondes survit une mémoire oubliée, celle
d'esclaves, d'opprimés et de suppliciés croisés au cours d'un long
et périlleux voyage sur un océan, deux mers et trois continents.
J'ai traversé mille épreuves, à l'issue desquelles je suis devenu
une voix porteuse d'amour et d'espoir : j'incarne désormais le
souvenir d'une multitude de femmes, d'hommes et d'enfants qui jamais
ne renoncèrent au rêve de liberté planté au plus profond de leur
cœur.
Si
les passants pouvaient m'entendre délier les nœuds de mon passé,
ils comprendraient que j'existe encore, ailleurs. Je plane au-dessus
de vallées éternelles, là où, bercés par le souffle du
Saint-Esprit, veillent les ancêtres défunts, là où tout sentiment
violent se transforme en douceur, là où la souffrance se convertit
en compassion, quand le relief des contingences humaines s'érode et
enfante la justice, la sagesse et le pardon. »
(p
9-10)
« Pendant
la vie terrestre, je concevais le temps comme une ligne droite
progressant d'un point à un autre, d'un début vers une fin. Depuis
que je suis une statue, fort de l'expérience de plusieurs centaines
d'années, je sais que cette lecture des moments qui passent, simple
et rassurante, n'est qu'un pâle reflet de la course du monde. Le
temps ne va nulle part, il ne s'arrête pas. Le présent reste un
instant qui s'échappe, un point en mouvement continu, à la fois
éphémère, minuscule et immense qui charrie tout le passé de
l'univers.Chaque événements et toutes les vies antérieures
trouvent leur place dans la lancée infinie des siècles et n'en
sortent plus. Et cela, même si certaines existences, comme celles
des esclaves, tendent à disparaître pendant longtemps dans les
omissions de l'Histoire, lorsqu'elles sont tues par indifférence,
par honte ou par culpabilité. » (p 167)
Iconographie
Peinture
de Lisbonne 16e siècle par un auteur néerlandais
(source: Walters Museum)
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