C'est la couverture du roman « Théodose
le Petit » qui m'a incitée à l'emprunter, le risque était
minime puisque j'avais la possibilité d'en arrêter la lecture si je
n'entrais pas dans l'histoire.
Pourquoi des fraises en couverture ?
On ne percute pas immédiatement, il m'a fallu plusieurs jours pour
me dire, en me frappant le front du plat de la main « Ah, mais
oui, c'est bien sûr ! ».
Quelle belle introduction donnant envie
de se précipiter sur le roman dès que l'occasion s'en présentera !
Ça, c'est de l'introduction travaillée et léchée... d'aucune aide
pour l'éventuel lecteur de cet article.
Il est des romans qui se lisent,
disais-je, parce qu'ils ont une couverture étonnante, inhabituelle ou
parce qu'ils ont un titre qui titille la curiosité de potentiel
lecteur.
« Théodose le Petit »
attira mon regard par la couverture acidulée puis par son titre
amusant.
On ouvre le roman, on lit la première
phrase et on se demande dans quoi on est tombé.
Le chapitre
d'exposition est du même tonneau que la phrase d'attaque. Où
va-t-on ?
Le chapitre deux intitulé « La
fraiseraie de la chouette Calliope » interpelle et donne une
éventuelle piste : serait-ce une histoire d'animaux doués de
parole et de raison ?
Entrent en scène Théodose le Petit et
le Chatchien. Le lecteur nage-t-il en plein délire ? D'autant
que peu à peu les personnages parlent d'un abominable Samuel, un
Minotaure dans une maison étrange, cultivant des champignons, en
guerre larvée contre Calliope, la chouette. Un Silure est évoqué,
une fantôme Otilia, des fourmis vertes et violettes, un duc
d'Ottembourg, d'une Fraternité, d'un Mur, d'un Lac Froid et de
Bucarest.
Est-ce une fable édifiante ?
Est-ce un roman d'apprentissage comme le laissent supposer les
relations entre Théodose Le Petit, Prince Héritier d'un royaume bien
malmené, et son précepteur, Gabriel le Chatchien, Premier Ministre
désigné comme seul guide du jeune prince. Est-ce une parodie sur le
pouvoir et ses vicissitudes ?
Un peu de tout cela.
Après des débuts difficiles, je me
suis attachée aux personnages et aux épreuves qu'ils traversent.
L'écriture est agréable car le style est soutenu et délicieux à
lire.
Le lecteur se retrouve spectateur de
deux camps qui s'affrontent dans la course au pouvoir. Le
machiavélique Silure, échafaudant plusieurs plans à la fois pour
réussir à tirer son épingle son jeu, tente d'ourdir complots sur complots tandis que le Glorieux
Otto, peaufine son coup droit et ses dernières inventions tel que
l’écervelateur
sinusoïdal.
Dans l'autre camp, celui des gentils,
le Chatchien espère mobiliser ses alliés naturels que sont
Calliope la chouette et Samuel le minotaure qui ne cessent de se
quereller pour des histoires de fraises dérobées et de champignons
convoités.
Entre les deux, Théodose essaie de
comprendre la quintessence du pouvoir qu'il recevra en héritage en
temps voulu, place quelques remarques d'abord anodines et pourtant
pleines de bon sens, Otilia la fantôme fait l'estafette, les fourmis
vertes et violettes espionnent, emprisonnent, tandis qu'un personnage
inattendu fera son apparition, fort à propos...le grand Monstrelet.
La tension monte entre les deux camps,
le Chatchien est bientôt acculé à l'inévitable : une guerre
que l'on peut appeler, sans exagération, picrocholine car elle en a
l'envergure dans sa démesure, son picaresque, son côté loufoque et
absurde.
Les situations plus cocasses les unes
que les autres s'enchaînent dans un tourbillon de détails
époustouflants d'un hyperréalisme que l'on savoure avec bonheur.
J'ose utiliser ce terme car c'est un bonheur que de se plonger dans
ce roman foisonnant et atypique. Il est jubilatoire de suivre les
personnages de cette fable caustique, satire farfelue où les
rebondissements suivent les révélations pour reprendre avec des
passages où la tension est pesante avant d'éclater dans l'absurde.
On notera le plaisir que prend l'auteur
à entortiller son lecteur dans le dédale des styles qu'il emploie
de manière judicieuse. La lecture n'en est que plus aisée et le
nombre important de pages (un peu plus de 500) disparaît pour ne
laisser place qu'à la joie de lire.
« Théodose le Petit » peut
rebuter par la prose et l'humour particuliers de l'auteur ou enchanter
le lecteur qui se laissera porter avec délectation dans les
digressions, les clins d'oeil faits aux relations entre l'éditeur et
son auteur : le passage sur l'histoire des trois petits canards
est hilarante tant elle est incongrue.
Le roman de Razvan Radulescu, auteur roumain à découvrir sans modération, est un
roman comme je les aime, inventifs, d'une écriture où la poésie
s'invite, où la langue est d'une richesse incroyable, où
l'invention s'invite à chaque instant. Parfois, j'avais l'impression
d'être dans un film que pourrait tourner Emir Kusturica.
Non, le romanesque intelligent n'est
pas mort !
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