dimanche 11 octobre 2020

Voltige, bouts de tissus et goût du risque


 « A Vladivostok, dans l’enceinte désertée d’un cirque entre deux saisons, un trio s’entraîne à la barre russe. Nino pourrait être le fils d’Anton, à eux deux, ils font voler Anna. Ils se préparent au concours international d’Oulan-Oude, visent quatre triples sauts périlleux sans descendre de la barre. Si Anna ne fait pas confiance aux porteurs, elle tombe au risque de ne plus jamais se relever.

Dans l’odeur tenace d’animaux pourtant absents, la lumière se fait toujours plus pâle, et les distances s’amenuisent à mesure que le récit accélère. »


Il est des rencontres étranges et cela a commencé avec celle de la couverture, du titre et de mon regard. Je suis très sensible aux couvertures des romans, peut-être à tort mais qu'importe, aussi mon regard a-t-il été attiré par celle de « Vladivostok circus ».... sans doute le portrait du félin sauvage en costume très digne.

Elle s'est poursuivie par la lecture du roman et s'est achevée par la rencontre, en vrai, avec l'auteure invitée par la librairie guingampaise « Mots et images ». Ah... j'oubliais, lors de la reprise des goûters littéraires « Mots et Compagnie » chez « Sidonie et Cie », autre lieu incontournable de Guingamp, Gilbert a appâté la lectrice que je suis par un avis très élogieux de ce roman. L'affaire était donc entendue.


Nous sommes à Vladivostok, au moment des deux dernières représentations de la saison avant que le cirque ne ferme ses portes.

Nathalie, jeune costumière tout juste diplômée, arrive pour honorer un contrat de quelques semaines auprès d'un trio spécialisé dans l'exercice très difficile de la barre russe.

La barre russe : deux porteurs, un ou une voltigeur(se), une confiance vitale entre chacun des membres .

La jeune femme revient dans la ville où elle a passé quelques années avec son père, professeur d'université. Elle a l'impression d'être un chien dans un jeu de quilles car elle n'est pas attendue si tôt, accueillie par Léon, le metteur en scène et vérificateur des attaches. Le trio n'a qu'un mois pour peaufiner le numéro qu'il présentera à un important festival international des arts du cirque, à Oulan-Oude : l'enjeu est immense et le défi grandiose, réalisation par Anna, la voltigeuse, d'un quadruple saut périlleux avant de retomber sur la barre.

Nathalie prend à cœur sa mission qui est de réaliser les costumes du trio pour leur numéro à Oulan-Oude. Elle observe les artistes, elle les respire, elle les suit, elle les apprivoise afin de réussir à les habiller de lumière. Ils sont en Sibérie, la taïga, les bouleaux, les branches souples, Anna est une liane, une panthère des neiges, Anton et Nino des tronc solides, du tissu « camouflage », une queue serpentine et des oreilles, des casques ornés de branches. Belle idée sauf que les tissus sont rêches et peu souples, les casques encombrants, la queue inadaptée pour la voltige. Belle idée mais dangereuse.

Du dépit puis le défi est à nouveau relevé pour aboutir au sublime habit de lumière pour une voltigeuse défiant l'immensité étoilée. Le velours épouse les mouvements des corps, les souligne sans les entraver, la piste aux étoiles peut recevoir le numéro du trio.

« Vladivostok circus » est un roman d'ombre et de lumière : l'ombre des secrets des personnages, celle de leurs blessures intimes, la lumière du dépassement de soi, celle de l'espoir, celle de la joie procurée par ce que l'on fait, celle qu'on éprouve quand on touche à l'absolue beauté.

Par touches subtiles, le quotidien d'un entraînement au sein d'un cirque désert, est magnifié sous la plume délicate d'Elisa Shua Dusapin. Le cirque sans représentations, sans artistes, sans public, devient un lieu où le fantastique peut surgir à tout moment. D'ailleurs ne sent-on pas l'odeur prégnante des écuries et des cages des animaux disparus depuis des années ? Elle hante les lieux, plane lorsque la nuit tombe. La magie des exploits sportifs des hommes a remplacé celle des numéros animaliers, issus d'une époque révolue.

L'auteure joue avec la tension du récit : les personnages parviendront-ils à s'accepter, à se comprendre au-delà de leurs blessures, de leurs regrets ? La confiance est si difficile à installer que parfois le lecteur est tourmenté par les menus dérapages lorsque Anna se rebiffe, lorsque Anton a un geste malheureux envers le chat étique de Léon, lorsque le premier essayage est une catastrophe, lorsque Nathalie engluée dans sa peur de la chute mortelle l'essaime jusqu'au trio.

En quelques mots bien pesés, Elisa Shua Dusapin rend tangible l'atmosphère d'un lieu peu commun voire insolite. Elle joue, avec brio, avec le pouvoir d'évocation des mots et réussit à montrer combien le poids des responsabilités de chacun est lourd d'enjeux vitaux : une inattention, un matériel défectueux et la mort peut s'inviter.

Ce court roman est un long fleuve tumultueux à l'apparence calme : comme dans un roman japonais la surface des mots et des phrases dissimule un tumulte intérieur et une multitude de dangers. Faut-il apprendre à lâcher prise quand il est encore temps ? La réponse réside dans l'épilogue ainsi que dans les passages de la lettre qu'écrit Nathalie, la narratrice, à son père.

Un joli roman servi par une très belle écriture incisive et poétique.

Quelques avis:

Babelio Bibliosurf   En attendant Nadeau  Collection de livres   

3 commentaires:

rachel a dit…

oh oui comme toi...les couvertures attirent didonc...et apres l'histoire semble bien faite....

Antigone a dit…

La couverture rappelle ton félin en logo, sans doute ce qui t'a attirée. Beaucoup de choses assez subtiles dans ce roman on dirait. Tu sais nous en donner à voir le charme. Merci pour ton coup de coeur !

eimelle a dit…

belle découverte! Je note!