lundi 30 mai 2022

La panne

 


Chaque mois, la libraire Mots & images organise un goûter littéraire au cours duquel les participants échangent leurs avis sur leurs lectures. Ce moment est toujours précieux et intéressant car les avis se confrontent loin de toute artificialité.

C'est au cours d'un de ces joyeux goûters que j'ai découvert un auteur suisse peu connu et méconnu : Friedrich Dürrenmatt et son court roman, ou longue nouvelle, « La panne ».

Il a été écrit en 1956 et deviendra, la même année, une pièce radiophonique. En 1972, Ettore Scola en fera une adaptation cinématographique sous le titre « La plus belle soirée de ma vie », puis en 1979 « La panne » sera adaptée en comédie pour un théâtre ambulant. Il faut dire que le roman est « théâtral » dans sa construction : unité de temps, de lieu et d'action.

Autant dire que ce roman, de grande qualité, a frappé les esprits au point de l'adapter tant au théâtre qu'au cinéma.


Alfredo Traps, représentant en textile, suite à une panne de voiture, se retrouve coincé pour une nuit dans un village où il trouve logis chez un juge à la retraite, faute de place dans l'hôtel du coin.

Cela tombe bien, il manque au juge et à ses vieux amis magistrats, un rôle …. celui de l'accusé. En effet, régulièrement, les compères juristes se retrouvent pour dîner joyeusement et jouer revivre de vieux procès sans le cadre rigide de la loi.

Alfredo est un gai luron et ne refuse ni le gîte ni le couvert ; il accepte sans sourciller le rôle d'accusé car il se demande bien de quoi les vieillards gourmets et gourmands pourraient l'accuser, lui dont la vie est simple et limpide.

Malgré les mises en garde de son « avocat », Alfredo se laisse emporter par l'ambiance bon enfant et la conversation délicieuse des convives. Le jeu s'installe au fil des plats et des verres remplis des meilleurs vins, peu à peu l'étau se resserre autour de l'inculpé qui ne pense à mal et ce jusqu'à la fin du repas. Mais, une fois dans sa chambre ….. Alfredo repense à la portée des révélations faites au cours du dîner et en tire les conséquences.... glaciales.


C'est le premier roman de Friedrich Dürrenmatt que je lis et j'ai été happée de bout en bout par ce récit délirant d'un humour noir féroce. L'auteur trouve les mots justes, instaure une ambiance dérangeante tout en mettant en place le jeu, un peu pervers, des retraités. Le jeu qui peut ne pas en être un et Dürrenmatt sait jouer du flou, du non-dit et de l'imagination des personnages : la frontière est mince entre réalité et fiction du jeu.

Chaque mot est pesé, chaque action amenée avec une précision diabolique, les coups sont donnés à force de mets savourés, de panses remplies, de vins dégustés au point qu'Alfredo, comme le lecteur, ne sait plus si cela relève de la plaisanterie ou de la perversité la plus brutale. C'est ce jeu subtil avec ces lignes qui fait la saveur de ce roman qui réserve une chute à la hauteur du talent de l'écrivain.

Ce dernier pose son postulat dès la première page :« Nous ne vivons plus sous la crainte d'un Dieu, d'une justice immanente, d'un Fatum comme dans la Cinquième Symphonie ; non ! plus rien de tout cela ne nous menace. » Notre monde n'est plus hanté que par des pannes. Pannes de voiture, par exemple, comme celle de la Studebaker d'Alfredo Traps, un soir, au pied d'un petit coteau.. » Donc, cette nouvelle platitude des existences sonne-t-elle la fin de l'inspiration pour les écrivains ? Après la lecture de « La panne » on ne peut que saluer avec respect la maestria de l'auteur à monter, à partir d'une situation d'un banal pathétique, une intrigue au suspense haletant et à l'ambiance presque baroque tant l'excès est partout... un excès intelligent au service d'une écriture ciselée et percutante.

Traduit de l'allemand (Suisse) par Armel Guerne

Quelques avis :

Babelio  Violette  Sens Critique

Lu dans le cadre




  



4 commentaires:

rachel a dit…

Effectivement....cela semble etre toute une bien bonne nouvelle...longue....mais attirante

Fanny a dit…

Je découvre beaucoup de nouveaux titres avec ce thème !
Je ne connaissais ni l'auteur ni le livre.

L'ourse bibliophile a dit…

Voilà qui semble intéressant ! Ma curiosité est accrochée et je vais rajouter ce livre dans ma wish-list de ce pas ! Merci pour la découverte !

MoKa a dit…

J'aime particulièrement ces titres classiques mais moins connus qui surgissent au fil des chroniques. Cela renforce la richesse et la diversité de ce RDV.