Tout le monde connaît l'horreur subie
par la ville de Guernica lors de la Guerre d'Espagne qui verra Franco
au pouvoir pour de longues années de dictature sanglante.
Tout le monde connaît le célébrissime
tableau de Picasso, éponyme de la ville, présenté au pavillon
espagnol lors de l'Exposition internationale des arts et techniques
de Paris en 1937.
Tout le monde connaît l'horreur vécue
grâce à ce superbe tableau.
Et si Picasso n'avait pas été le seul
artiste à s'interroger sur les tragédies de la guerre et
l'importance de l'art pour en témoigner ?
C'est ce que nous relate Antoine
Choplin dans son roman, touchant et merveilleux, « Le héron de
Guernica » où le jeune héros, Basilio, étrange électron
libre, s'arc-boute à reproduire, exactement, le portrait d'un héron
habitué du marais proche de la ville.
La guerre civile passe à côté de
Basilio, du moins a-t-on, au début, cette impression. Or, très
vite, le héron devient une métaphore de la ville : la
tranquillité du marais est celle d'une petite ville plus attachée à
son quotidien de labeur qu'aux affaires du monde. Le marché, les
promenades à la brune des jeunes gens, Basilio au cœur du marais,
immobile, habituant le héron à sa présence pour mieux le croquer,
le dessiner, le peindre, la vie simple de gens simples.
Le souci de Basilio n'est pas la
guerre, même s'il a voulu s'engager auprès des républicains, non,
son souci est de parvenir à peindre un héron cendré, son héron
cendré, sans qu'il donne une impression de nature morte. Il espère
rendre sa peinture vivante comme si le héron devait bouger dans la
seconde sous les yeux de celui qui regardera la peinture.
Comment peindre la vie sur une toile
sans en perdre sa substance ? C'est ce que recherche Basilio :
insuffler la vie dans son dessin. On le suit dans le marais,
silencieux comme lui ; on s'installe, immobile comme lui, pour
apprivoiser le héron. On goûte à la précieuse sérénité du
lieu, oasis de paix et d'eau immobile. Une bulle fragile et
délicieuse.
Puis le trouble vient du ciel où les messerschmitts allemands dansent tels des insectes malfaisants.
L'enfer embrase la ville en quelques minutes.
Basilio a quitté son marais pour
revenir auprès de son oncle qu'il ne trouve pas. Il suivra le curé
qui lui donnera la mission de prendre des photos pour immortaliser
l'horreur et informer le monde de l'ignominie.
Avec un tact d'une légèreté sublime,
Choplin met en scène le bombardement et les cadrages de Basilio :
une bicyclette abandonnée dans la rue sera plus parlante que
l'escadrille dans le ciel, les taurillons rendus fous par les
flammes, saisis par le regard de ce jeune homme sensible, formeront
une triade tragique et enflammée achevant sa course, consumée et
déstructurée. L'horreur est dans quelques scènes anodines.
A la fin du raid, Basilio se rend au
marais... son héron semble immobile, il tente de se relever, de
battre ses ailes. L'une d'elles est blessée, brisée. Le sang
s'écoule du modèle qui sombre dans l'ombre des hautes herbes... la
mort est pudique.
Le héron du matin et celui du soir,
deux sommes d'une vie qui s'achève brisée. Aussi, quand on voit
Basilio prendre son pinceau pour peindre son héron, on voit aussitôt
les personnages du tableau de Picasso : le corps et le visage
déstructurés pour montrer l'avant et l'après.
Le jeune artiste, on le sent, on le
sait, peint « le héron du matin et celui du soir » en un
seul...de l'oeil pétillant de vie à la béance mortelle de l'aile
meurtrie.
Picasso n'a pas assisté au carnage de
Guernica, Basilio, si. Pourtant le ressenti artistique est le même,
la transcription graphique du même ordre.
Antoine Choplin rend magnifiques
Basilio et son héron, rend extraordinaire le calme d'une journée
comme une autre avant le déchainement des bombes et le martyr de la
ville. La douceur de vivre et l'horreur de la mort violente et
brutale dans l'évocation d'un héron cendré, image de la sérénité
du marais.
On ferme alors les yeux et on regarde
le tableau de Picasso, comme Basilio au pavillon espagnol. On voit
les corps martyrisés et on voit celui du héron dont la toile ne
quittera pas le carton à dessin.
Guernica - Pablo Picasso - 1937
1 commentaire:
oh oui ce livre semble bien bon...une autre facon de voir la tragedie...mais a la fin c'est la meme chose..l'horreur....
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