Il y a cinq ans je savourais le délicieux «Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants », court roman qui m'avait enchantée.
« Le banquet annuel de la Confrérie
des fossoyeurs » m'a tout de suite attirée aussi dès que j'ai pu
l'emprunter je n'ai pas hésité un seul instant.
Comment parler de ce roman
foisonnant sans en dévoiler trop et sans s'éparpiller ? L'exergue peut
mettre le lecteur sur la voie :
« Dans nos existences
antérieures nous avons tous été terre, pierre, rosée, vent, eau, feu, mousse,
arbre, insecte, poisson, tortue, oiseau et mammifère. » (Thich Nath Hanh
citant le Bouddha)
La citation intrigue puis est
oubliée au commencement de la lecture pour ressurgir au détour d'une phrase.
L'art de distiller les sentiers de l'imaginaire est maîtriser par le truculent
Mathias Enard.
Revenons à l'histoire. Un jeune
thésard en anthropologie, David Mazon, choisit comme terrain d'étude un coin de
campagne des Deux-Sèvres, là où on parle non pas « de batailles, de rois
et d'éléphants » … quoique... mais où on lève joyeusement le coude en
parlant des petits riens et grands événements du quotidien.
La Pierre Saint Christophe, son
Café-épicerie-pêche et ses habitués, ses villageois goguenards, ses rumeurs et
racontars, son église, son marais, son mode de vie exotique vu de Paris, son
maire à la profession un peu spéciale, ses champs, ses troupeaux, son gibier,
sa coiffeuse à domicile, son artiste décalé, ses agriculteurs, sans oublier son
hiver glacial. Tout un microcosme formant un bouillonnement perpétuel
d'énergies venues dont ne sait où.
David a pris pension à « La
Pensée sauvage » un gîte à la ferme tenu par une femme avenante et
heureuse d'accueillir le jeune homme. Très vite la nécessité d'un moyen de
locomotion se fait jour : les Deux-Sèvres ce n'est pas Paris et son réseau
de transports étendu. David acquiert la porte sur la liberté de circuler avec
une vieille mobylette : sa vie d’apprenti anthropologue peut commencer.
Le roman s’ouvre sur le journal de bord
de notre héros ce qui met tout de suite le lecteur dans l’ambiance : le coin
perdu, en plein XXIè siècle, est un incroyable terreau pour une étude anthropologique
originale car l’exotisme ne nécessite plus de longues expéditions lointaines. Reste-t-il
encore des contrées vierges dans notre monde hyper connecté ? A
vouloir éloigner les frontières de l’impossible, ce qui est sous nos yeux est
devenu invisible et donc intéressant à redécouvrir pour « l’homo citadinus » qu’est
David Mazon.
La vie joyeuse et débridée de La
Pierre Saint-Christophe est peut-être le reflet de croyances profondément
enfouies dans lesquelles la Mort tient le haut du pavé.
La mort est indissociable de la vie
et inversement et qui serait le plus à même à l’incarner que le maire du
village, Martial Prouveau, croque-mort de son état. Ah ! Il en siffle des
verres de blanc, de rouge, de Loire ou d’ailleurs ! C’est pour mieux affronter
le compagnonnage de la grande Faucheuse, celle qui remet les compteurs à zéro
pour mieux rebattre les cartes. D’ailleurs, monsieur le maire pourrait être un
fils de l’Abbaye de Thélème tant sa gourmandise est immense. C’est qu’il a du
pain sur la planche : cette année, il organise le banquet annuel de la
Confrérie des Fossoyeurs qui se tient à Pâques. Trois jours de trêve avec la
Camarde, trois jours durant lesquels les croque-morts (on peut dire aussi
thanatopracteurs) ripailleront et festoieront autour des plats les plus
délicieusement préparés. Il n’y a pas d’Abbaye de Thélème mais celle de
Maillezais où se déroule les agapes présidées par le maire, le Grand Maître Sèchepine,
qui fera voter l’entrée des femmes dans la Confrérie, le Chambellan Bittebière,
d’un pragmatisme confondant dans l’énumération de ce qu’il a engouffré et le
Trésorier Grosmollard qui dénote par sa frugalité. Le tout sous le regard du
lecteur au comble de l’étonnement devant la description burlesque dans laquelle
se dévoile une pointe d’humour noir, de ce repas gargantuesque. Rabelais s’invite
à la fête à la plus grande joie du lecteur qui savoure chaque mot, chaque
expression, chaque instant d’une histoire au cœur du roman. Car la tradition du
banquet veut que les participants racontent légendes ou contes et Mathias Enard
entraîne son lecteur dans un tourbillon de souvenirs du folklore et d’évocations
de poètes ou de philosophes Un régal absolu qui se clôt par l’énumération des
cent noms de la Mort et l’antienne des fossoyeurs qui « enfin enterreront la
Mort, bas-beurre de baratte à couilles ! »
La parenthèse enchantée est
refermée, David Mazon a évolué, a même mûri : condescendant envers ces
ruraux aux abords frustres et rustres, il en vient à les apprécier au point de
renoncer à l’écriture de sa thèse , à quitter sa petite amie pour vivre, en
vrai, grandeur nature, la vie rural, le retour à la terre avec Lucie, une jeune
agricultrice « bio », dont il est tombé amoureux
La Roue tourne, tourne,
inlassablement, elle recycle les âmes, les fait voyager dans le temps, les sexes,
les espèces, les différents états de la matière. Car nous avons tous été une
multitude de choses ou d’êtres, ballottés au gré des rondes de la Roue.
La Pierre Saint-Christophe est un
microcosme dans lequel les personnages ont tous eu une route commune le temps d’une
ou mille et une vies.
« Le banquet annuel de la
Confrérie des Fossoyeurs » n’est pas un roman mais des romans tissés les
uns avec les autres, au rythme des chansons, intermèdes contés, séparant les
récits principaux.
J’ai aimé me plonger dans l’entrelac
des histoires, des souffrances pesant sur plusieurs générations, des fragments
de la vie des personnages dispersés au fil du roman que le lecteur prend plaisir
à rassembler.
J’ai aimé cette ode à la Vie malgré
la Mort qui rôde et profite de la moindre inattention pour s’en emparer afin de
redonner la vie. Sous cet angle, la mort est une péripétie au cours de la vie,
sans en devenir joyeuse, elle devient familière.
J’ai aimé les descriptions du
terroir des Deux-Sèvres permettant de poser les questions auxquelles est
confronté notre société : sauver ce qui peut l’être ou continuer aveuglément
à foncer droit dans le mur.
J’ai aimé la fin heureuse, qui peut
agacer parce que trop idéalisée, quoique pas tant que cela, montrant qu’un
retour à la campagne peut ouvrir sur une multitude de possibles.
Quelques avis :
3 commentaires:
Il m’intéresse mais je dois lire Boussole auparavant.
J'ai lu le plus grand bien de "Boussole". Je le lirai dès que je le trouverai à la médiathèque.
Merci Mirontaine d'être passée chez moi.
Oh j'ai toujours voulu lire cet auteur...et bin lala cela me donne vraiment envie....;)
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