mardi 3 août 2021

Faire un pas de côté

 


Cet étrange roman de l'auteure sud-coréenne Han Kang prend le biais du végératisme pour aborder le thème de la folie.

Il est découpé en trois chapitres : l'ordinaire devient peu à peu extraordinaire, l'obsession du beau-frère de l'héroïne quant à la tache mongolique qu'elle possède encore à l'âge adulte, enfin l'apothéose de la folie végétale du personnage principal.


Yonghye est, selon son mari, une femme des plus ordinaire : ni belle ni laide, d'intelligence moyenne, passe-partout. Une femme quelconque pouvant passer inaperçue. Le couple, ordinaire, a une vie ordinaire jusqu'au jour où il la trouve, immobile et perdue dans ses pensées, devant le réfrigérateur ouvert. Une seule réponse à son questionnement : « J'ai fait un rêve ».

Dès lors, Yonghye se débarrasse des aliments d'origine animale pour ne conserver que ceux d'origine végétale. Elle ne mange plus de viande ni d'oeufs ni de lait au grand dam de son mari qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Il se retrouve dans une situation gênante lors d'un dîner organisé chez le PDG de son entreprise car les préférences alimentaires de Yonghye provoque de nombreuses remarques sur le végétarisme.

Elle perd du poids et refuse de s'abandonner dans les bras de son époux au prétexte qu'il sent la viande. Désemparé, il s'ouvre à sa belle famille des difficultés qu'il rencontre avec Yonghye. Au cours d'un repas d'anniversaire, le père de Yonghye, aidé par ses fils, tente de lui faire avaler de force de la viande. Elle se rebiffe en saisissant un couteau et s'ouvre les veines.

Un soir, à l'issue de son hospitalisation, il la veille et à son réveil constate qu'elle a disparu. Il la récupère à l'extérieur, seins nus car, explique-t-elle, elle a trop chaud.


La convalescence de Yonghye se déroule vaille que vaille, elle ne renonce pas au végétarisme, bien au contraire, elle vit cloîtrée dans son appartement, le plus souvent nue. Ses rêves expliquent au lecteur ce qui a pu l'amener à changer radicalement ses habitudes alimentaires.

Son beau-frère, artiste photographe, vient la voir de plus en plus souvent, l'observant, lui trouvant du charme insolite puis lui propose de participer à une création dans laquelle elle devra se mettre nue. Ce qui ne la gêne pas.

Cette partie du roman est d'un grand érotisme, auquel on adhère ou pas, un érotisme extrême parfois dérangeant. Jae organise une séance avec sa belle-soeur Yonghye et un ami artiste Chunsun, il peint leurs corps de motifs floraux et leur demande de prendre des poses suggestives. Chunsun refusera d'aller jusqu'au pornographique.

Yonghye se refuse à Jae parce qu'il n'a pas le corps peint. Une fois le détail réglé, il revient chez sa belle-soeur et lui fait l'amour. Entre-temps, il parvient à filmer leurs ébats, film qui sera visionné par sa femme, Inhye qui les fera internés tous les deux.


Yonghye s'enfonce dans sa folie au point de vouloir devenir un arbre et de rester immobile, comme un arbre, sous la pluie. Elle devient anorexique et oppose une forte résistance quand l'équipe soignante s'en trouve réduite à la gaver par sonde.

Et si tout cela n'était qu'un rêve...


« La végétarienne » est un roman étrange et dérangeant par le sujet traité : la folie, l'anormalité qu'elle soit alimentaire ou érotique. La sensualité de l'interdit est l'arrière-plan du deuxième chapitre, celui du second pas de côté opéré par Yonghye : le végétarisme qui heurte le mode de vie coréen, comme il peut heurter le mode de vie traditionnel occidental. On constate que l'héroïne se dépouille de toutes les habitudes ordinaires jusqu'à mettre réellement en pratique le dépouillement : elle ôte ses vêtements, elle vit dans un environnement minimaliste, elle se nourrit de peu.

Yonghye est une jeune femme qui crie son mal-être avec les armes à sa disposition, la nourriture, son corps qu'elle refuse à son époux.

« La végétarienne » est un roman sur la solitude, le silence de la douleur dans une société, rigide et intolérante, où l'empathie et la communication réelle avec autrui sont loin d'être mis en avant.

La littérature coréenne peut être encore plus dérangeante que la littérature japonaise, « La végétarienne » en est un exemple... entre roman et fable contemplative.

Je n'ai pas détesté le roman, il a réussi à m'intriguer et à bousculer ma zone de confort. Néanmoins, j'ai apprécié les pas de côté de Yonghye ainsi que la résilience de sa sœur Inhye, lumière fragile dans la nuit de l'héroïne.

Bouger les lignes, même légèrement, permettra toujours de porter un regard nouveau sur soi et autour de soi.


Traduit du coréen par Jeong Eun-jin et Jacques Baillot


Quelques avis :

Babelio  Kimamori  Voix au chapitre  Critiques libres  Sens critique


Lu dans le cadre




4 commentaires:

rachel a dit…

Oh punaise...lala je fuis...vraiment pas pour moi...merci pour cette critique mais ce genre de recit ne m'attire pas...:)

maggie a dit…

Le côté erotique m'attire pad du tout. Ca m'a l'air trop fou pour moi

Katell a dit…

J'aurais du employer le terme "sensualité". Ce roman est dérangeant et pourtant intéressant. Il a bousculé ma zone de confort en tant que lectrice.

Cristie a dit…

C'est déstabilisant ! J'ai lu d'autres bonnes critiques sur ce livre et malgré le côté complètement fou. Il m'intrigue !