Il y des déclencheurs tels un « café
lecture » organisé par la médiathèque de ma ville qui nous
mettent sur la voie d'une lecture improbable.
En attendant de lire le « dernier
Blondel » dont la présentation avait aiguisé ma curiosité,
j'ai retenu « La mise à nu ».
La quatrième de couverture m'a parlé,
c 'était parti pour l'aventure littéraire.
Un professeur d'anglais vieillissant
croise le chemin, lors du vernissage d'une exposition de peintures,
d'un de ses anciens élèves, Alexandre Laudin. Ce dernier, reconnu
internationalement, a invité son ancien prof et est heureux de le
voir assister au vernissage.
Une visite plus tard à son atelier,
Louis Claret se retrouve à accepter de devenir modèle du jeune
artiste peintre.
Sa vie prendra alors une autre
dimension : les souvenirs remontent, s'éclairent à l'aune de
la maturité, des expériences et du seuil de la vieillesse.
On suit les rêveries du vieux prof,
dont les pensées s'égarent avec délice dans les méandres du
passé, heureux ou malheureux, lors des séances de pause, on les
suit sur la pointe des pieds, on ne veut surtout pas déranger le
déroulement de la pelote d'Ariane.
Une chanson de Charles Trénet s'invite
et nous accompagne.... « Que reste-t-il de nos amours... ? »
sous la lumière tamisée de la jeunesse enfuie à jamais ? Que
nous laisse la vie quand on a parcouru les trois-quart du chemin ?
De beaux souvenirs de voyage, de balade avec son meilleur ami, des
enfants, des lectures, des musiques, des tabeaux admirés dans les
musées... Ces petits riens qui nous fabriquent, patiemment, au cours
de notre vie.
Jean-Philippe Blondel peint avec des
mots délicats et parfois railleurs un portrait de ses personnages où
la tendresse est toujours présente, rehaussée par le filigrane de
la dérision, l'arme qui permet d'égratigner et de malmener les
acteurs de l'histoire.
La nostalgie marche aux côtés du
narrateur, elle fomente des guet-apens, ceux des bilans que l'on
dresse, sans pour autant lui ôter le sourire de celui qui continue,
vaille que vaille, sur le chemin qu'il se trace : le courage de
regarder sans concession ce qui a été fait, vécu, raté ou
réussi ; Louis Claret a la noblesse du bravache qui sait que
les petits renoncements sont nécessaires pour avancer.
J'ai apprécié l'équivoque de la
relation entre l'ancien élève et l'ancien prof : que se
trame-t-il entre eux ? Attirance ? Répulsion ?
Incompréhension ? Tendresse ? Bienveillance ?
Certainement tout cela en même temps.
J'ai souri quand le narrateur ouvre un
placard où sont entassés ses souvenirs, les babioles qui devaient
marquer un moment particulier dont il ne souvient absolument plus...
vanitas vanitatis, tout s'efface peu à peu pour laisser place aux
vrais souvenirs, ceux que la chair de l'esprit a gravé dans une
oubliette qui n'en est pas une, celle qui s'ouvre au moment le plus
inattendu.
Les séances de pauses sont des portes
que le narrateur ouvre sur son intimité... une mise à nu de l'âme
sans fiel ni vulgarité, bien au contraire la poésie est présente à
chaque instant.
La vie ordinaire dans toute sa
délicatesse sous la finesse de la plume de Blondel... après cette
lecture, la peur de vieillir ne devrait plus avoir court.
« ...Il va me fouiller, creuser,
chercher ce qui s'est tapi sous les paillassons de ma mémoire et de
mon corps. Il lâche un rire sec et ajoute qu'il y a de quoi prendre
ses jambes à son cou quand on l'entend, alors qu'il souhaite tout le
contraire. Mon immobilité, ma vérité. Dehors, une bourrasque plus
forte que les autres. Les vitres tremblent. Son regard dévie
quelques secondes et, quand il revient vers moi, il a perdu son
éclat. A la place, de la douceur. Un océan de douceur.
« Je vous dessinais souvent,
quand j'étais élèves. »
Il prend le fusain et le carnet sur le
bar. Crissement léger du crayon sur le papier. Un frisson naît au
bas de mon dos et remonte lentement jusqu'à ma nuque. Va-et-vient
des yeux d'Alexandre de mon corps à ses doigts. Il s'absorbe dans sa
tâche. Je prends une profonde inspiration. Je voudrais retrouver une
sérénité. Je me perds dans la contemplation du mur, par-delà
l'épaule d'Alexandre. Peu à peu les angles s'adoucissent. Devant
mes yeux, de petits cercles lumineux. Des poussières
phosphorescentes. Des couleurs naissent. Le mauve de la bruyère qui
s'accroche aux roches. Le lichen qui envahit la pierre et la rend
végétale. Au loin, la courbe d'un loch. Le vent siffle en longeant
la carrosserie et s'engouffre par rafales dans l'habitacle. Le
chuintement des pneus sur la route encore humide. L'averse est
passée, rehaussant les teintes. C'est magnifique. J'en ai le souffle
coupé. » (pages 68 et 69)
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