Quand on s'inscrit pour participer à
Masse Critique de Babelio, il ne faut pas être lève tard et encore
moins tête-en-l'air sinon les titres les plus alléchants partent
avant que l'on ait le temps de dire « ouf ».
J'ai oublié le rendez-vous du mercredi
7 juin et ne m'en suis souvenu qu'en fin d'après-midi. J'ai jeté
mon dévolu sur deux titres dont celui que j'ai reçu quelques jours
plus tard dans ma BAL.
« Madame, vous allez m'émouvoir »
est le récit de l'enquête sur l'histoire de sa famille réalisée
par Lucie Tesnière que rien ne prédisposait à fouiller dans les
archives familiales.
Tout commence par la lecture des
lettres de son arrière-grand-père, Paul Cabouat, médecin dans les
tranchées pendant la Grande Guerre, aux siens et à sa fiancée. Une
aventure au long cours débute, un chemin parsemé souvent de
trouvailles insolites, d'embûches parfois, ardu toujours.
Le lecteur suit les progrès des
recherches menées par cette jeune femme qui se prend au jeu au point
de solliciter un congé sabbatique. Il les suit avec intérêt et
émotion : l'auteure-enquêtrice fait revivre ses aïeux et
apporte, à sa manière, un éclairage sur les époques de la Grande
Guerre et de la Seconde Guerre mondiale.
L'éclairage n'est pas miraculeux, il
est de l'ordre de l'intime. Ce qui le rend d'autant plus émouvant :
le lecteur est en compagnie de ces soldats envoyés au front, ces
hommes issus de la bourgeoisie qui se rendront aux côtés de leurs
frères d'armes dans les antichambres de l'Enfer que furent les
tranchées.
Il accompagne les aïeux
haut-fonctionnaire ou médecin lors de la « drôle » de
guerre suivie de l'armistice et du gouvernement de Vichy. Le premier
restera préfet tout en adoucissant le sort de prisonniers ou de
familles juives, le second sera résistant. Un membre d'une autre
branche familiale sera aussi résistant et ignorant des activités de
résistance de son épouse et de son fils.
L'arbre généalogique compte de
nombreux destins étonnants comme ceux de nombreuses familles
anonymes.
Sous la plume de Lucie Tesnière,
prénommée ainsi en hommage à Lucie Aubrac, la France des anonymes
prend vie, se découvre et offre sa mémoire, ou plus exactement ses
mémoires.
La jeune femme ne s'affiche pas en tant
d'écrivaine et encore moins historienne et c'est ce qui donne de la
valeur à son récit : elle ne prétend pas découvrir des pans
inconnus du quotidien de la Grande Guerre, elle souhaite seulement
apporter le témoignage familial dans le cadre des commémorations du
centenaire de 1914-1918. Bien sûr ses recherches l'entraîneront
dans les méandres plus risqués de la période de Vichy et de
l'Occupation allemande, cependant elle parvient à faire son miel de
ses découvertes et de renouer avec un lointain cousin en rupture de
ban familial. Ce sont ces moments qui provoquent l'émotion du
lecteur car cela s'est certainement produit dans moult familles et
nombreux doivent être les squelettes dans les placards bien
fermés.... jusqu'au jour où le bois joue et la porte s'entrouvre.
Lorsque j'ai achevé la lecture de
« Madame, vous allez m'émouvoir », je me suis demandé
ce que notre époque, détachée de l'écrit et du temps étiré,
laissera à la postérité. Nous n'écrivons plus de lettre à nos
proches ou à nos amours hormis des textos ou des courriels.
Nous ne
prenons plus le temps de décrire le quotidien à ceux qui sont au
loin puisque nous avons la facilité d'envoyer grâce à nos
portables des photos prises à l'instant.
Nous sommes dans
l'immédiateté et dans l'impermanence. Comme le souligne l'auteure,
nous n'écrivons plus de lettres d'amour comme a pu en écrire son
arrière-grand-père. Ces lettres, magnifiques par leur simplicité,
reflets d'une époque dont nous avons la nostalgie, émeuvent car
elles touchent à l'éternité puisque nous les lisons encore
aujourd'hui.
J'ai été émue lorsque Lucie Tesnière
explique que la mère de Paul Cabouat recopiait chacune des lettres
écrites par ses fils. C'est grâce à ce geste d'amour maternel que
ceux qui viennent après peuvent connaître la vie et les tourments
de ceux qui les ont précédés. Ce geste ancestral du moine
copiste.... qui l'a aujourd'hui ?
Ou encore lorsqu'elle retrouve des
manuscrits du père de Paul, souhaitant garder trace de ce que la
famille a pu vivre au cours des quatre années de la Grande Guerre.
Il la consigne scrupuleusement et la destine sciemment à sa
postérité dont fait partie Lucie. Qui prend encore le temps de
relater le quotidien contemporain hormis les écrivains, philosophes
ou politiques qui tiennent un journal ?
Le papier qui reçoit pensées, récits
du quotidien, observation des petits riens au cœur du temps qui
passe, est certainement le support le plus sûr et le plus noble pour
transmettre un présent à un futur qu'on a du mal à appréhender.
Je remercie l'équipe de Babelio pour
m'avoir mis entre les mains un récit que je n'aurais pas eu,
spontanément, envie de lire. Un récit qui est parvenu à m'émouvoir
et ce n'était pas gagné !
Lu dans le cadre de l'opération
2 commentaires:
Oh toute une epopee.....vraiment une bien belle histoire familiale....il y avait le meme debat avec les photos et les droits d'images....on n'aura plus des temoignages visuels de l'epoque....
En effet Rachel, le droit à l'image et donc des photos deviendra un problème certain sauf si à un moment, quand on ne sait pas à qui appartiennent les photos, il y ait une législation permettant de les rendre publiques.
Bien compliqué tout cela.
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