vendredi 10 juillet 2020

Mémoire familiale


Quand on s'inscrit pour participer à Masse Critique de Babelio, il ne faut pas être lève tard et encore moins tête-en-l'air sinon les titres les plus alléchants partent avant que l'on ait le temps de dire « ouf ».
J'ai oublié le rendez-vous du mercredi 7 juin et ne m'en suis souvenu qu'en fin d'après-midi. J'ai jeté mon dévolu sur deux titres dont celui que j'ai reçu quelques jours plus tard dans ma BAL.
« Madame, vous allez m'émouvoir » est le récit de l'enquête sur l'histoire de sa famille réalisée par Lucie Tesnière que rien ne prédisposait à fouiller dans les archives familiales.

Tout commence par la lecture des lettres de son arrière-grand-père, Paul Cabouat, médecin dans les tranchées pendant la Grande Guerre, aux siens et à sa fiancée. Une aventure au long cours débute, un chemin parsemé souvent de trouvailles insolites, d'embûches parfois, ardu toujours.
Le lecteur suit les progrès des recherches menées par cette jeune femme qui se prend au jeu au point de solliciter un congé sabbatique. Il les suit avec intérêt et émotion : l'auteure-enquêtrice fait revivre ses aïeux et apporte, à sa manière, un éclairage sur les époques de la Grande Guerre et de la Seconde Guerre mondiale.

L'éclairage n'est pas miraculeux, il est de l'ordre de l'intime. Ce qui le rend d'autant plus émouvant : le lecteur est en compagnie de ces soldats envoyés au front, ces hommes issus de la bourgeoisie qui se rendront aux côtés de leurs frères d'armes dans les antichambres de l'Enfer que furent les tranchées.

Il accompagne les aïeux haut-fonctionnaire ou médecin lors de la « drôle » de guerre suivie de l'armistice et du gouvernement de Vichy. Le premier restera préfet tout en adoucissant le sort de prisonniers ou de familles juives, le second sera résistant. Un membre d'une autre branche familiale sera aussi résistant et ignorant des activités de résistance de son épouse et de son fils.
L'arbre généalogique compte de nombreux destins étonnants comme ceux de nombreuses familles anonymes.

Sous la plume de Lucie Tesnière, prénommée ainsi en hommage à Lucie Aubrac, la France des anonymes prend vie, se découvre et offre sa mémoire, ou plus exactement ses mémoires.
La jeune femme ne s'affiche pas en tant d'écrivaine et encore moins historienne et c'est ce qui donne de la valeur à son récit : elle ne prétend pas découvrir des pans inconnus du quotidien de la Grande Guerre, elle souhaite seulement apporter le témoignage familial dans le cadre des commémorations du centenaire de 1914-1918. Bien sûr ses recherches l'entraîneront dans les méandres plus risqués de la période de Vichy et de l'Occupation allemande, cependant elle parvient à faire son miel de ses découvertes et de renouer avec un lointain cousin en rupture de ban familial. Ce sont ces moments qui provoquent l'émotion du lecteur car cela s'est certainement produit dans moult familles et nombreux doivent être les squelettes dans les placards bien fermés.... jusqu'au jour où le bois joue et la porte s'entrouvre.

Lorsque j'ai achevé la lecture de « Madame, vous allez m'émouvoir », je me suis demandé ce que notre époque, détachée de l'écrit et du temps étiré, laissera à la postérité. Nous n'écrivons plus de lettre à nos proches ou à nos amours hormis des textos ou des courriels. 
Nous ne prenons plus le temps de décrire le quotidien à ceux qui sont au loin puisque nous avons la facilité d'envoyer grâce à nos portables des photos prises à l'instant. 
Nous sommes dans l'immédiateté et dans l'impermanence. Comme le souligne l'auteure, nous n'écrivons plus de lettres d'amour comme a pu en écrire son arrière-grand-père. Ces lettres, magnifiques par leur simplicité, reflets d'une époque dont nous avons la nostalgie, émeuvent car elles touchent à l'éternité puisque nous les lisons encore aujourd'hui.

J'ai été émue lorsque Lucie Tesnière explique que la mère de Paul Cabouat recopiait chacune des lettres écrites par ses fils. C'est grâce à ce geste d'amour maternel que ceux qui viennent après peuvent connaître la vie et les tourments de ceux qui les ont précédés. Ce geste ancestral du moine copiste.... qui l'a aujourd'hui ?
Ou encore lorsqu'elle retrouve des manuscrits du père de Paul, souhaitant garder trace de ce que la famille a pu vivre au cours des quatre années de la Grande Guerre. Il la consigne scrupuleusement et la destine sciemment à sa postérité dont fait partie Lucie. Qui prend encore le temps de relater le quotidien contemporain hormis les écrivains, philosophes ou politiques qui tiennent un journal ?

Le papier qui reçoit pensées, récits du quotidien, observation des petits riens au cœur du temps qui passe, est certainement le support le plus sûr et le plus noble pour transmettre un présent à un futur qu'on a du mal à appréhender.

Je remercie l'équipe de Babelio pour m'avoir mis entre les mains un récit que je n'aurais pas eu, spontanément, envie de lire. Un récit qui est parvenu à m'émouvoir et ce n'était pas gagné !


Lu dans le cadre de l'opération








Les avis de Gregoire de Tours  d'Eva

2 commentaires:

rachel a dit…

Oh toute une epopee.....vraiment une bien belle histoire familiale....il y avait le meme debat avec les photos et les droits d'images....on n'aura plus des temoignages visuels de l'epoque....

Katell a dit…

En effet Rachel, le droit à l'image et donc des photos deviendra un problème certain sauf si à un moment, quand on ne sait pas à qui appartiennent les photos, il y ait une législation permettant de les rendre publiques.
Bien compliqué tout cela.