Il était une fois un pays de tous les possibles, immense à moissonner, à bâtir, à construire.
Il était une fois des hommes en quête de liberté ou d'une
nouvelle vie.
Il était une fois un grand pays qui inventa l'idée de
démocratie.
Il était une fois une nation qui conquit l'espace et envoya
le premier homme marcher sur la lune.
Il était une fois un pays aux dix amendements fondateurs
d'une nation entreprenante, industrieuse, inventive, créatrice et mortifère.
Il était une fois un pays où aider les femmes à conquérir
leur droit de disposer, à leur gré, de leur corps peut vous valoir une balle
mortelle.
Il était une fois un pays qui conquit la lune et qui peut
croire que la Terre est plate, que la théorie de l'évolution est une
affabulation.
Il était une fois les Etats-Unis et leurs paradoxes.
« Un livre de martyrs américains » conte les vies
brisées de deux familles que tout sépare. L'une vit dans le sud des
Etats-Unis : famille d'ouvriers religieux pratiquants. L'autre vit au nord
et est issue des milieux universitaires progressistes, militant pour les droits
des femmes et des minorités.
Le premier, Luther Dunphy, est charpentier, le deuxième
médecin obstétricien. Le premier écoute les prêches des prédicateurs « pro
life », le second, Augustus Vorhees, participe aux conférences prônant la
liberté des femmes à disposer d'elles-mêmes.
Le roman relate, également, la manière dont les enfants,
notamment les filles, de ces deux familles vivent le drame qui dévaste leur vie
et qui les liera malgré elles. Chacune, à leur façon, cultivera la mémoire de
son père.
Joyce Carol Oates dissèque avec minutie et brio ses
personnages, tout ce qui dans leur parcours les amènera à réaliser leurs actes :
les méandres sociétaux, économiques, culturels et éducatifs construisent,
petits faits par petits faits, les chemins qui se croiseront lors du chaos
avant de s’éloigner pour mieux se recouper après des années d’errance, de
recherche de soi, d’hésitations à envisager un avenir serein. Certains
personnages choisissent la fuite, option choisie par la veuve du médecin, d’autres
l’âpreté de la détestation puis de la haine envers la famille de l’assassin,
choix de la fille d’Augustus Vorhees, Naomi, d’autres de cultiver un talent
sportif, la boxe féminine pour la fille de Luther Dunphy, Dawn.
Rien n’est noir, rien n’est blanc, tout est en nuances infinies,
sans aucun parti pris de l’auteur car tout est tellement complexe que rien ne
peut être binaire. Chacun tisse la toile dans laquelle il se débat et à
laquelle il tente d’échapper.
Le roman conte la violence d’une société américaine dont les
valeurs profondes vacillent sous les coups de butoir antagonistes de la
modernité, des libertés et de l’obscurantisme issu d’interprétations extrêmes
de la Bible, terreau des « fous de Dieu ».
« Un livre de martyrs américains » nous raconte
combien le fait religieux, notamment la notion de prédestination, est imbriqué
dans tous les domaines régissant la société américaine au point que Dieu et la
Bible sont brandis dès que l’occasion se présente ; et combien il divise
cette même société au point qu’une géographie s’installe: les métropoles
regroupant les gens instruits, éduqués et cultivés, les régions rurales se retrouvant
délaissées provoquant l’amertume des « rednecks » (nuques rouges).
Joyce Carol Oates signe un roman extraordinaire, d’une
rare puissance romanesque que l’on savoure lors des scènes au tribunal, lors
des combats de boxe – il y a de quoi frissonner et se mettre à hurler au
diapason des spectateurs tant la force d’évocation de son écriture plonge le
lecteur au cœur même de l’action – ou celles du couloir de la mort où le lecteur
a le cœur au bord des lèvres et se dit « Nom de D…. quand les états
réfractaires aboliront-ils, enfin, la peine de mort !? ». Joyce Carol
Oates parvient à faire jaillir la beauté de l’horreur, la lumière de l’obscurité,
le final est, à mes yeux, des plus réussis, et ce pour le plus grand bonheur du lecteur.
3 commentaires:
Je n'ai toujours pas lu cette auteure, pourtant connue ...Trop de livres !
Oh ouah tout un livre....tout un Joyce....faudrait vraiment que je lise cette auteure...et j'en ai dans ma PAL...pucha....
Les filles faut vous y mettre et vous ne serez pas déçues du voyage littéraire.
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