samedi 5 septembre 2020

Le paradoxe américain



Il était une fois un pays de tous les possibles, immense à moissonner, à bâtir, à construire.

Il était une fois des hommes en quête de liberté ou d'une nouvelle vie.
Il était une fois un grand pays qui inventa l'idée de démocratie.
Il était une fois une nation qui conquit l'espace et envoya le premier homme marcher sur la lune.
Il était une fois un pays aux dix amendements fondateurs d'une nation entreprenante, industrieuse, inventive, créatrice et mortifère.
Il était une fois un pays où aider les femmes à conquérir leur droit de disposer, à leur gré, de leur corps peut vous valoir une balle mortelle.
Il était une fois un pays qui conquit la lune et qui peut croire que la Terre est plate, que la théorie de l'évolution est une affabulation.
Il était une fois les Etats-Unis et leurs paradoxes.

« Un livre de martyrs américains » conte les vies brisées de deux familles que tout sépare. L'une vit dans le sud des Etats-Unis : famille d'ouvriers religieux pratiquants. L'autre vit au nord et est issue des milieux universitaires progressistes, militant pour les droits des femmes et des minorités.
Le premier, Luther Dunphy, est charpentier, le deuxième médecin obstétricien. Le premier écoute les prêches des prédicateurs « pro life », le second, Augustus Vorhees, participe aux conférences prônant la liberté des femmes à disposer d'elles-mêmes.
Le roman relate, également, la manière dont les enfants, notamment les filles, de ces deux familles vivent le drame qui dévaste leur vie et qui les liera malgré elles. Chacune, à leur façon, cultivera la mémoire de son père.
Joyce Carol Oates dissèque avec minutie et brio ses personnages, tout ce qui dans leur parcours les amènera à réaliser leurs actes : les méandres sociétaux, économiques, culturels et éducatifs construisent, petits faits par petits faits, les chemins qui se croiseront lors du chaos avant de s’éloigner pour mieux se recouper après des années d’errance, de recherche de soi, d’hésitations à envisager un avenir serein. Certains personnages choisissent la fuite, option choisie par la veuve du médecin, d’autres l’âpreté de la détestation puis de la haine envers la famille de l’assassin, choix de la fille d’Augustus Vorhees, Naomi, d’autres de cultiver un talent sportif, la boxe féminine pour la fille de Luther Dunphy, Dawn.
Rien n’est noir, rien n’est blanc, tout est en nuances infinies, sans aucun parti pris de l’auteur car tout est tellement complexe que rien ne peut être binaire. Chacun tisse la toile dans laquelle il se débat et à laquelle il tente d’échapper.
Le roman conte la violence d’une société américaine dont les valeurs profondes vacillent sous les coups de butoir antagonistes de la modernité, des libertés et de l’obscurantisme issu d’interprétations extrêmes de la Bible, terreau des « fous de Dieu ».
« Un livre de martyrs américains » nous raconte combien le fait religieux, notamment la notion de prédestination, est imbriqué dans tous les domaines régissant la société américaine au point que Dieu et la Bible sont brandis dès que l’occasion se présente ; et combien il divise cette même société au point qu’une géographie s’installe: les métropoles regroupant les gens instruits, éduqués et cultivés, les régions rurales se retrouvant délaissées provoquant l’amertume des « rednecks » (nuques rouges).
Joyce Carol Oates signe un roman extraordinaire, d’une rare puissance romanesque que l’on savoure lors des scènes au tribunal, lors des combats de boxe – il y a de quoi frissonner et se mettre à hurler au diapason des spectateurs tant la force d’évocation de son écriture plonge le lecteur au cœur même de l’action – ou celles du couloir de la mort où le lecteur a le cœur au bord des lèvres et se dit « Nom de D…. quand les états réfractaires aboliront-ils, enfin, la peine de mort !? ». Joyce Carol Oates parvient à faire jaillir la beauté de l’horreur, la lumière de l’obscurité, le final est, à mes yeux, des plus réussis,  et ce pour le plus grand bonheur du lecteur.

Les avis de The Cannibal Lecteur  Joëlle  Alex  Anne Claire Tessier  
  
Lu dans le cadre du Mois Américain





3 commentaires:

lcath a dit…

Je n'ai toujours pas lu cette auteure, pourtant connue ...Trop de livres !

rachel a dit…

Oh ouah tout un livre....tout un Joyce....faudrait vraiment que je lise cette auteure...et j'en ai dans ma PAL...pucha....

Katell a dit…

Les filles faut vous y mettre et vous ne serez pas déçues du voyage littéraire.