Les héros de « Bienvenue au club » ont vieilli, ils ont la cinquantaine bien tassée, la vie n'a pas forcément tenue toutes ses promesses et pourtant …. on les suit avec bonheur et enthousiasme dans les méandres de leurs regrets, de leurs réussites, de leurs rêves aboutis ou encore à réaliser.
Benjamin, Philip et Doug sont devenus époux et pères, les uns
sont restés dans la région de Birmingham, un autre a cédé aux sirènes
londoniennes et aux riches héritières.
L'Angleterre de Thatcher est derrière eux, les conflits
sociaux et la guerre civile avec l'IRA également. Il y a eu l'idylle
travailliste avec un Tony Blair Premier Ministre, les JO de 2012, la bulle de
la City, le multiculturalisme londonien ravissant tout européen convaincu.
Les lendemains déchantent lentement mais sûrement. Comment en
est-on arrivé là ?
2011, les émeutes bouleversent le paysage social britannique :
l’Angleterre montrait une tolérance de bon aloi, les Bobbies ne sont pas armés,
cas unique en Europe, tout est remis en question lors de l’interpellation d’un jeune
noir. Le feu qui couvait s’attise pour gagner la rue, pour une escalade dans la
violence : les grandes enseignes sont saccagées parce qu’elles
représentent le pouvoir mais ça, le pouvoir ne veut pas le considérer ainsi. Ian
Coleman, le mari de Sophie se fait agresser alors qu’il tente de s’interposer,
le fossé s’élargit entre elle et sa belle-mère qui cite Enoch Powel et son
discours des « fleuves de sang ». Les JO de 2012 ne parviendront pas
à gommer le fossé séparant les gens ordinaires des « intellectuels » et
des politiques.
La famille Trotter traverse la période mouvementée comme elle
peut : Benjamin présente enfin son roman à Philip devenu éditeur, Lois
oscille entre retourner auprès de son époux, Christopher Potter, et poursuivre
leur modus vivendi, Sophie décide de ne plus prendre de petit ami au sein de
son cercle professionnel, l’université, elle en a soupé des intellectuels. Elle
épouse un moniteur de conduite qu’elle a rencontré lors d’un stage de conduite
obligatoire suite à sa verbalisation pour excès de vitesse : ils n’ont
rien en commun mais construisent un avenir ensemble. Doug est devenu
journaliste politique et chroniqueur incontournable, toujours à l’affut du bon
mot ou du tuyau qui fera un bon papier.
Puis arrive le gouvernement de coalition de David Cameron :
il promet un Référendum sur la sortie ou non de l’Union Européenne. Le couperet
est sans appel : ce sera le Brexit. Coup de tonnerre parmi l’élite anglaise
qui s’attendait à tout sauf à ça.
« Comment en est-on arrivé là ? » se répètent
en boucle Benjamin, Philip, Doug, Lois ou Sophie. Le Brexit peut-il devenir un
argument pour divorcer ? Sophie s’éloigne de son époux, Benjamin retrouve
un ancien copain de collège, qui n’est pas entré à « King William College »,
devenu amuseur dans les goûters d’enfants. Lois est en proie à ses vieux démons.
Le regard doux-amer de Jonathan Coe parcourt « Le cœur de
l’Angleterre », sa plume élégante, délicatement ironique, mettent en scène
la perte des êtres chers ou des idéaux, le passage, inexorable du temps, ce
sable glissant entre les doigts des personnages. Il y a l’observation critique
des relations humaines aussi bien au sein de l’intime que dans la société, dans
laquelle la tendresse est toujours présente.
« Le cœur de l’Angleterre » est également un roman
qui explore, malicieusement, les sources des crispations actuelles, celles qui
délitent, avec violence, le tissu socio-culturel et intellectuel d’aujourd’hui :
le politiquement correct dont la captation du langage ôte toute aspérité, et ce
dans tous les domaines. Sophie en fera les frais lorsque la fille de Doug, la
terrible Coriandre, s’insurge en lieu et place d’une jeune étudiante transsexuelle
ce qui provoque sa mise en congé. L’austérité implacable renforce le
nationalisme ainsi que le sentiment d’identité. Ces démons ne sont pas joyeux,
ils sont inquiétants au point de provoquer, parfois, un repli sur soi. Ils sont
omniprésents aujourd’hui puisque le terrain est dégagé pour laisser libre cours
à la « cancel culture », le glas insupportable de la négation de ce
qui fait la richesse de la création artistique.
Que faire pour réagir ? Quitter le pays pour aller vivre
outre-Manche ? Les moulins se ressemblent-ils dans les Midllands et en Provence ? « Adieu to old
England » rythme le roman en une partition nostalgique d’une époque
révolue.
Un roman jubilatoire, et une délicieuse satire sociale, qui
pose les bonnes questions sur notre aujourd’hui toujours plus inquiétant.
Traduit de l’anglais (RU) par Josée Kamoun
Quelques avis :
Babelio Tu vas t'abîmer les yeux La Croix Mots pour mots Actualitté Anita
Lu dans le cadre
5 commentaires:
Je le tenterai bien, parce que le thème est hyper intéressant, mais jusqu'à présent je n'ai jamais réussi à finir un roman de Coe...
C'est dommage... Même "Bienvenue au club" ou "Testament à l'anglaise"?
Et bin plus qu'a lire le premier avant tout.....il va falloir que je ne lance dans un Coe....pour Juin....
J'aimerais bien le lire ! Je n'ai pas lu de roman de Jonathan Coe depuis des années! Les thématiques m'intéressent même si ce n'est pas très réjouissant.
Bonsoir, un roman qui se lit agréablement et j'ai eu l'occasion d'assister à une rencontre avec Jonathan Coe, quand son roman est sorti et c'était très interessant. Il était bien entendu antibrexit. Il s'est désolé de cette situation. Bonne soirée.
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