vendredi 29 août 2008

Le violoncelle et ses musiciens

Mai 1939, Paris est encore une ville insouciante, gaie sous le soleil printanier. Mathieu Salvan, jeune musicien promis à un brillant avenir a rendez-vous chez un expert luthier pour le violoncelle qu'il a hérité de sa grand-mère. C'est un Vuillaume, un splendide Vuillaume à la divine résonnance. En chemin, Mathieu ne résiste pas à l'envie d'essayer son violoncelle, dans l'église néo-romane de la place Saint-Augustin: après s'être installé au bon endroit, il fait virevolter ses doigts sur l'instrument et ainsi dégage de ce dernier la magie enchanteresse des notes, de la Sarabande n°5 de Bach, d'une pureté d'un autre monde. Un lien, mystique et magique, le Tara, se concrétise entre Mathieu et son violoncelle....l'émotion est à son comble chez les auditeurs inconnus. Qu'est-ce que le tara? L'instant magique où un lien spécial, aux accents du passé, lie le musicien à son instrument à la résonnance parfaite. Mathieu perçoit le souvenir fugace de son arrière-grand-père..."La Lumière du Rêve t'a baigné de se rayons, quel privilège!" lui roucoule sa splendide maîtresse japonaise Yukiyo, et Mathieu repart dans une série de visions "Il ferma les yeux et laissa retomber sa tête sur sa poitrine. Le sang afflua dans son oreille interne, le maudit si majeur se mit à siffler, très loin, insistant, envahissant, des images d'une précision terrifiante défilèrent dans son esprit, la ronde des sorcières autour de la croix de pierre du calvaire là où, dans les grottes enfouies sous la terre, les pointes de silex des flèches avaient conservé des énergies néolithiques conférant aux messes de requiem pour les lépreux le pouvoir de leur octroyer la grâce païenne dans l'au-delà." (p 49 et 50)
Mathieu rencontre Azzato, le célèbre luthier qui détecte immédiatement la valeur du violoncelle "Il fit lentement tourner le violoncelle, n'accordant aucune attention à la couleur sombre due à la longue corrosion par la résine, la poussière et la fumée. Une fraction de seconde lui suffit pour déterminer avec certitude l'origine de l'instrument. La forme inégalée et la finition était celle d'une copie française unique d'un Stradivarius. Le vernis, visible par endroits, était d'un rouge orangé transparent avec une réfraction très intense en raison de l'éclat doré. Ces indices renvoyaient tout droit à l'atelier de Jean-Baptiste Vuillaume." (p 27). Lorsque Mathieu revient récupérer son violoncelle, son instrument, aussi cher qu'une maîtresse (d'ailleurs son violoncelle est au féminin), ne résonne plus! Il ne peut pas, ne veut pas croire qu'il y ait eu erreur, mais il lui faut se rendre à l'évidence, le violoncelle n'est pas le sien!
Commencent alors les sombres pérégrinations du violoncelle et leurs funestes conséquences. Mathieu ne se relève pas de cette sauvage dépossession ni du départ précipité de Yukiyo, furieuse de voir que son jeune amant se soit laissé berner, et préfère se donner la mort. Quelques semaines plus tard, la guerre éclate ce qui n'empêchera pas le violoncelle volé de trouver un autre propriétaire, un jeune diamantaire anversois. Las, ce dernier ne profitera pas longtemps de son joyau car portant l'étoile jaune, la haine des nazis l'enverra dans un camp d'extermination. Seul, le violoncelle sortira de cette horreur pour venir des années plus tard subjuguer à nouveau Yukiyo lors du Festival de Beyreuth et son étonnant voyage ne s'achèvera pas en Autriche.
Jef Geeraerts offre un sublime espace à la musique de Jean-Sébastien Bach et emmène son lecteur dans les pas mystérieux des Cathares et des puissances spirituelles de l'ancien Japon. Les racines périgourdines de Mathieu font écho aux souffrances et aux persécutions subies tant par les Cathares que par les Protestants ou les Juifs. Les puissances spirituelles occultes de ces religions soufflent d'étranges sons et une résonnance incomparable au violoncelle, héros sensuel et d'une beauté indicible du roman! Chaque description de l'instrument de musique est une invitation à l'amour et à la sensualité, chaque confrontation évoque un sortilège "Les pupilles noires changèrent de couleur, devenant d'une teinte indéterminée, entre le gris jaune et le rose terne, et se mirent à flamboyer comme celles d'un chat tétanisé par les phares de voiture dans l'obscurité. Un courant électrique de faible tension traversa la main gauche de Stangl, qui se mit à picoter comme s'il souffrait de de problèmes circulatoires.(...) Très faiblement mais avec une netteté angoissante, il perçut le même picotement dans sa main gauche qui s'insensibilisa progressivement, comme si elle était plongée dans l'eau glacée.(...) En quelques secondes, sa main gauche se transforma en griffe." (p 121 et 122)
Les musiciens qui se succèdent auprès du violoncelle font corps avec l'instrument, ils sont tellement en osmose avec lui qu'on ne sait plus distinguer l'homme de l'instrument: la magie de la musique de Bach, entre Sarabande et Suites, mouvements, subtils crescendos et morendo, entraîne le lecteur au coeur d'un concert unique. Il entend les oeuvres de Bach en lisant les mots qui les décrivent, qui les dessinent avec la justesse de la véritable émotion. Lorsqu'on a assisté au moins une fois à un concert où le violoncelle est à l'honneur, les phrases de Jef Geeraerts prennent encore plus d'ampleur et de sens: c'est tout cela que l'auditeur voit quand un violoncelliste joue. L'extase n'est jamais loin, l'extase est prête à surgir et à étreindre au moment où on s'y attend le moins, le musicien comme le lecteur.
L'auteur entraîne son lecteur dans le dédale musical d'un monde étrange où son imagination immense joue avec les mystères de l'Occident et de l'Orient sans que cela ne produise de faute de goût, bien au contraire!!! Le lecteur frôle les désirs, les interdits avec ravissement et délectation, porté par une langue imagée de belle facture.
On sort de ce roman comme lorsqu'on revient d'un étonnant voyage au coeur d'une contrée de l'imaginaire: les yeux encore remplis des merveilles que l'on a touchées du bout des doigts, le coeur battant encore des émotions ressenties, l'esprit serein et l'envie d'écouter du Bach!



Roman traduit du néerlandais par Marie Hooghe


L'avis de Laurence

3 commentaires:

la. a dit…

Ce livre est pour moi!

Katell a dit…

@lavinie: N'hésitez pas alors à le lire...il y aura de quoi noter beaucoup de passage sur votre carnet Moleskine ;-)

Anonyme a dit…

Merci pour cette decouverte, je sais deja avec quels delices je vais plonger dans ce roman, moi qui ai toujours reve d'en jouer...