dimanche 21 juin 2020

Les lézardes du dernier été

L'été s'installe à Kington, en Angleterre, accompagné de son cortège de vacances en famille ou de villégiatures dans les maisons familiales.
Trois sœurs et un frère viennent passer trois semaines en famille dans la demeure de leurs grands-parents. Une décision, quant à la conservation ou la vente de la maison, devra être prise au cours du séjour.
Les lignes pourraient rester immuables entre les frère et sœurs mais ce serait sans compter la venue de Pilar la nouvelle épouse de Roland, ce dernier souhaitant profiter des retrouvailles pour la présenter à ses sœurs Harriet, Alice et Fran.
Le présent, au sein de la maison familiale, est empreint du passé sans qu'on ne puisse rien y faire. Chaque objet renvoie à un souvenir, à un événement, à des scènes d'enfance.
La maison vieillotte, mal entretenue et mal équipée conserve le charme désuet des presbytères anglais, malgré tous ses défauts on ne peut s'empêcher de s'y attacher et d'espérer qu'elle ne sera pas vendue. C'est qu'elle est un personnage à part entière avec ses escaliers qui craquent, ses chambres qui communiquent entre elles, ses rideaux anciens, ses meubles rustiques, ses tiroirs à secrets, son jardin très anglais, loin de tout et ses fuites dans la toiture.

Construit en trois temps : le présent, le passé, le présent, le roman plonge d'emblée le lecteur au cœur d'un mode de vie, bourgeois cultivé, réglé comme du papier à musique, qui s'étiole lentement vers sa fin.
La joie des retrouvailles passée, les lézardes deviennent rapidement visibles, comme le sont celles des murs de la maison qui exigerait une rénovation et donc un investissement financier que ne semblent pas prêts à faire les membres de la fratrie.
Les jours s'écoulent dans la chaleur estivale : les enfants de Fran, Ivy et Arthur, jouent comme tous les enfants à des jeux d'exploration et de construction qui les mèneront à visiter un cottage abandonné où ils trouveront de quoi agrémenter leur imaginaire. Ils agacent, ils s'immiscent là où il ne le faudrait pas, observent ou ajoutent à la pesanteur de la promiscuité familiale.
Le fragile équilibre se rompt lorsque Alice découvre en fouillant les tiroirs du bureau de leur grand-mère, une liasse de lettres. Dans cette liasse se trouve une lettre écrite par Roland à leur mère hospitalisée en raison d'un cancer qui la ronge. Roland refuse qu'Alice la lise à haute voix, s'en empare de mauvaise humeur. Bien qu'il ait grandi entouré de femmes, sa pudeur d'intellectuel refuse que ses sentiments d'adolescent soient ainsi exhumés.
Sous les yeux du lecteur défilent les caractères des sœurs et frère : Harriet, l'éternelle torturée oublieuse d'elle-même au point qu'elle passe à côté de sa vie, Fran, la jeune mère pragmatique, légèrement différente des autres, Alice un brin farfelue au point d'en paraître excentrique et Roland le philosophe dont les chroniques paraissent dans les journaux. Autant de différences formant la richesse d'une famille.

La seconde partie du roman, intitulée « Le passé », éclaire ce qui anime les personnages de l'histoire. Elle donne les clefs pour comprendre la sensation d'attente exprimée par Alice dans ses rêves et ses moments d'introspection, et le décalage de Fran. L'auteure invite le lecteur dans l'Angleterre de 1968, lors des événements français, et lui permet d'accompagner les regards de Sophy, la grand-mère et de Jill la mère de la fratrie, sur la condition de la femme et ses aspirations légitimes. Tessa Hadley esquisse, joliment, à coup d'humour et de poésie, le portrait d'une époque.

La troisième et dernière partie précipite le dénouement, peut-être un peu trop vite, j'aurais aimé un plus long développement de l'action et des ressentis chez les personnages. Cependant le plaisir de les suivre est toujours présent d'autant que nous savons quelque chose qu'ils ignorent et c'est tellement agréable d'égoïsme.
La scène au cours de laquelle Fran coupe les cheveux longs et bouclés de son fils Arthur est la métaphore du cordon ombilical coupé libérant les frère et sœurs de la maison de famille. Arthur quitte son statut de bébé pour entrer dans le monde des petits garçons comme Fran et les autres quittent irrémédiablement leur jeunesse quand un agent immobilier vient expertiser la vieille bâtisse pleine de charmes.

« […] ils lisaient tous les deux le soir, souvent pendant des heures. Ce n'était pas la lecture anodine dont leurs voisins de classe moyenne parlaient, celle qui vous aidait à franchir , dans un glissement, le seuil du sommeil, l'équivalent d'un somnifère, le marque-page progressant par modestes avancées. Sophy et Grantham dévoraient leurs livres : lire était une liberté arrachée à la trame réglée du quotidien. Sans même en avoir jamais discuté, chacun savait que l'autre approuvait l'habitude de retourner leur réveil-matin réglé sur sept heures, de sorte qu'ils n'avaient aucune idée du teps qui passait tandis qu'assis, ils tournaient les pages, aucune idée non plus de leur imprudence ou de la façon dont lils le paieraient le jour suivant. Evidemment leurs lectures étaient bien différentes : les romans de Sophy empruntés à la bibliothèque, les livres sérieux de Grantham. Naturellement, Sophy éteignait la première, elle posait son livre ouvert, pages contre le sol – cassant sa tranche, se plaignait-il – et renonçait à son engagement dans l'altérité de la lecture avec un soupir presque sensuel." (p 267 et 268)

Une lecture agréable au cours de laquelle on s'attache aux personnages: on aime suivre leurs moments d'introspection, leurs disputes, leurs décalages. On apprécie les personnages à part entière que sont la maison familiale et le cottage abandonné. Le tout baigné dans la lumière indicible d'un été anglais.

L'avis de Anne Claire 

Lu dans le cadre du:



2 commentaires:

rachel a dit…

Toute une famille a connaitre alors...tout a roman a lire...;)

Katell a dit…

Je ne me suis pas ennuyée une seconde pendant ma lecture.