« Le ministère du bonheur suprême » emporte, sur un quart de siècle (entre 1990 et 2015), le lecteur des quartiers surpeuplés du vieux Dehli aux quartiers en plein essor du New Dehli en passant par le Cachemire et ses vallées peuplées de partisans.
On rencontre un groupe étrange, celui des hirajs, vivant dans
une vieille demeure, la Khwabgah dite la Maison des rêves. Anjum, qui fut
auparavant Aftab, l'a rejoint pour vivre pleinement sa vie de femme dans un
corps d'homme qu'elle transforme peu à peu. On la retrouve, après une errance,
déroulant un tapis élimé dans un cimetière de la ville devenu son foyer. Anjum
parle avec les esprits, dort parmi les tombes, apprivoise le monde mystérieux
et dérangeant des morts.
Un trio de copains, Naga, Musa et Biplab, gravite autour
d'une jeune fille, belle insaisissable, l'incroyable S.Tillotama, à la fois
absence et présence au sein de leur vie. Ils se sont connus à l'Ecole
d'Architecture et ont joué ensemble au théâtre.
Un bébé apparaît une nuit, sur un trottoir, dans un tas
d'ordures : personne n'a rien vu, personne ne sait à qui il peut être.
Les tiroirs s'ouvrent, se ferment pour se rouvrir
encore : les histoires et les amours se croisent, s'éloignent, forment un
tissage extraordinaire des destins liés à l'histoire de l'Inde.
Ce roman est tellement protéiforme, gigantesque par ses
thématiques et ses histoires à tiroirs telles des matriochkas que l'on ouvre
pour découvrir qu'il y en a encore une, et encore une, et encore une jusqu'à ce
que l'auteure, Arundhati Roy, extirpe le dernier lambeau d'un récit picaresque
souvent, rocambolesque parfois, stupéfiant et toujours jubilatoire : le
happy end est à l'image du roman... joyeusement triste.
Aux côtés d'Ajum, on se plonge dans le monde étonnant des
hirajs, craintes et admirées, vivant cependant dans des conditions parfois
sordides. Elles sont tolérées malgré la répulsion qu'elles provoquent dans la
majorité de la population. On la suit dans l'adoption, malgré elle, de la petite
Zainab, abandonnée à l'entrée de la grande mosquée du quartier. Ajum, parce que
la fillette est souvent malade, ira au dargah de Hazrat Gharib Nawaz à Ajmer où
elle subira les dommages collatéraux des attentats du 11 septembre 2001, à
savoir les violences au Gurajat en 2002. Ajum ne s’en remettra pas de sitôt et
quittera la Khwabgah pour échouer dans le cimetière dont elle deviendra la
figure emblématique et tutélaire.
L’épisode du bébé abandonné dans le tas d’ordures sur un
trottoir au Cachemire est un écho à l’adoption de Zainab. Tilo recueillera
l’enfant comme Ajum recueillit Zainab, telle une passerelle entre les
personnages puisque Tilo viendra vivre dans le fameux cimetière transformé en
Jennat Guest House, les prix défiant toute concurrence mais l’acceptation de la
location dépend du bon vouloir d’Ajum.
« Le ministère du bonheur suprême » est un roman
fabuleux, difficile à résumer car tellement dense, dans lequel la beauté et le
sordide se côtoient, dans lequel la tolérance bouddhiste peut être étouffée par
les violences et les tortures au Cachemire. L’amour, dans toutes ses
acceptions, est un fil conducteur indéniable que l’on suit avec fascination.
Le tour de force d’Arundhati Roy est de rendre visible
l’invisible et de réaliser un portrait de l’Inde contemporaine sans concession
ce qui peut être parfois dérangeant et souvent touchant. Les laissés pour
compte du bond en avant indien s’expriment sous la plume de l’auteure, ils
s’expriment à loisir sur les mutations et les crises de leur pays. Elle réussit
également à montrer combien il peut être dangereux d’être musulman en Inde avec
la montée des nationalismes. Ajum est tout cela en même temps ce qui donne à ce
personnage une force extraordinaire.
J’ai été happée par le tourbillon du récit qui ouvre sans
cesse des portes sur d’autres récits, échos de tout ce qui fait l’Inde.
Traduit de l’anglais (Inde) par Irène Margit
Quelques avis :
Babelio La cause littéraire En attendant Nadeau Sens critique L'étagère à livres Rachel
Lecture commune lue dans le cadre
7 commentaires:
IL faut que je me décide à le sortir de ma PAl §
Oh oui je suis totalement en accord avec toi...sur tous les points...vraiment un livre fascinant...tourbillonnant....
@Eimelle: il vaut le coup d'être sorti de ta PAL.
@Rachel: il y a tellement de choses à dire sur ce roman qui met sur le devant de la scène ceux qui n'y sont jamais: les pauvres, les décalés, tous ceux qui ne rentrent pas dans les cases.
Un très très beau roman.
Je l'ai acheté aussi ! Je voulais le lire mais j'ai eu le mois du Japon :-)
Oh oui vraiment difficile de tout parler....vraiment un livre plein...;)
Je viens de le découvrir chez Rachel ... ! Tu enfonces le clou ... !
Je ne l'ai pas encore lu mais je pense qu'il va bientôt rejoindre ma Pile A Lire ! Le Dieu des petits riens m'a tellement remuée en début d'année! Merci pour ce partage. :)
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