lundi 26 avril 2021

Le bonheur mode d'emploi?

 


« Le ministère du bonheur suprême »
emporte, sur un quart de siècle (entre 1990 et 2015), le lecteur des quartiers surpeuplés du vieux Dehli aux quartiers en plein essor du New Dehli en passant par le Cachemire et ses vallées peuplées de partisans.

On rencontre un groupe étrange, celui des hirajs, vivant dans une vieille demeure, la Khwabgah dite la Maison des rêves. Anjum, qui fut auparavant Aftab, l'a rejoint pour vivre pleinement sa vie de femme dans un corps d'homme qu'elle transforme peu à peu. On la retrouve, après une errance, déroulant un tapis élimé dans un cimetière de la ville devenu son foyer. Anjum parle avec les esprits, dort parmi les tombes, apprivoise le monde mystérieux et dérangeant des morts.

Un trio de copains, Naga, Musa et Biplab, gravite autour d'une jeune fille, belle insaisissable, l'incroyable S.Tillotama, à la fois absence et présence au sein de leur vie. Ils se sont connus à l'Ecole d'Architecture et ont joué ensemble au théâtre.

Un bébé apparaît une nuit, sur un trottoir, dans un tas d'ordures : personne n'a rien vu, personne ne sait à qui il peut être.

Les tiroirs s'ouvrent, se ferment pour se rouvrir encore : les histoires et les amours se croisent, s'éloignent, forment un tissage extraordinaire des destins liés à l'histoire de l'Inde.

Ce roman est tellement protéiforme, gigantesque par ses thématiques et ses histoires à tiroirs telles des matriochkas que l'on ouvre pour découvrir qu'il y en a encore une, et encore une, et encore une jusqu'à ce que l'auteure, Arundhati Roy, extirpe le dernier lambeau d'un récit picaresque souvent, rocambolesque parfois, stupéfiant et toujours jubilatoire : le happy end est à l'image du roman... joyeusement triste.

Aux côtés d'Ajum, on se plonge dans le monde étonnant des hirajs, craintes et admirées, vivant cependant dans des conditions parfois sordides. Elles sont tolérées malgré la répulsion qu'elles provoquent dans la majorité de la population. On la suit dans l'adoption, malgré elle, de la petite Zainab, abandonnée à l'entrée de la grande mosquée du quartier. Ajum, parce que la fillette est souvent malade, ira au dargah de Hazrat Gharib Nawaz à Ajmer où elle subira les dommages collatéraux des attentats du 11 septembre 2001, à savoir les violences au Gurajat en 2002. Ajum ne s’en remettra pas de sitôt et quittera la Khwabgah pour échouer dans le cimetière dont elle deviendra la figure emblématique et tutélaire.

L’épisode du bébé abandonné dans le tas d’ordures sur un trottoir au Cachemire est un écho à l’adoption de Zainab. Tilo recueillera l’enfant comme Ajum recueillit Zainab, telle une passerelle entre les personnages puisque Tilo viendra vivre dans le fameux cimetière transformé en Jennat Guest House, les prix défiant toute concurrence mais l’acceptation de la location dépend du bon vouloir d’Ajum.

 

« Le ministère du bonheur suprême » est un roman fabuleux, difficile à résumer car tellement dense, dans lequel la beauté et le sordide se côtoient, dans lequel la tolérance bouddhiste peut être étouffée par les violences et les tortures au Cachemire. L’amour, dans toutes ses acceptions, est un fil conducteur indéniable que l’on suit avec fascination.

Le tour de force d’Arundhati Roy est de rendre visible l’invisible et de réaliser un portrait de l’Inde contemporaine sans concession ce qui peut être parfois dérangeant et souvent touchant. Les laissés pour compte du bond en avant indien s’expriment sous la plume de l’auteure, ils s’expriment à loisir sur les mutations et les crises de leur pays. Elle réussit également à montrer combien il peut être dangereux d’être musulman en Inde avec la montée des nationalismes. Ajum est tout cela en même temps ce qui donne à ce personnage une force extraordinaire.

 

J’ai été happée par le tourbillon du récit qui ouvre sans cesse des portes sur d’autres récits, échos de tout ce qui fait l’Inde.

 

Traduit de l’anglais (Inde) par Irène Margit

 Si vous souhaitez en savoir plus sur les hirajs c'est ici

Quelques avis :

Babelio  La cause littéraire  En attendant Nadeau  Sens critique  L'étagère à livres  Rachel   

Lecture commune lue dans le cadre 



7 commentaires:

Eimelle a dit…

IL faut que je me décide à le sortir de ma PAl §

rachel a dit…

Oh oui je suis totalement en accord avec toi...sur tous les points...vraiment un livre fascinant...tourbillonnant....

Katell a dit…

@Eimelle: il vaut le coup d'être sorti de ta PAL.
@Rachel: il y a tellement de choses à dire sur ce roman qui met sur le devant de la scène ceux qui n'y sont jamais: les pauvres, les décalés, tous ceux qui ne rentrent pas dans les cases.
Un très très beau roman.

maggie a dit…

Je l'ai acheté aussi ! Je voulais le lire mais j'ai eu le mois du Japon :-)

rachel a dit…

Oh oui vraiment difficile de tout parler....vraiment un livre plein...;)

Cristie a dit…

Je viens de le découvrir chez Rachel ... ! Tu enfonces le clou ... !

Hilde a dit…

Je ne l'ai pas encore lu mais je pense qu'il va bientôt rejoindre ma Pile A Lire ! Le Dieu des petits riens m'a tellement remuée en début d'année! Merci pour ce partage. :)