jeudi 13 mai 2021

Belle est la montagne

 


Mon Giro lecture commence dans le nord de l'Italie, entre Milan et Grana, petit village de montagne où la mère du narrateur loue une maison- résidence secondaire pour s'éloigner de la ville bruyante et polluée et renouer avec la nature montagnarde.

Pietro rencontre Bruno lors d'un séjour estival à Grana : après une période où les deux jeunes garçons se jaugeront, une solide amitié naîtra entre eux.

Tandis que le père de Pietro, coureur de sommets à épingler sur sa carte, essaie de lui faire aimer la course en haute montagne, Bruno l'initie aux secrets de la montagne en parcourant, inlassablement, les alpages, les berges des torrents, la forêt et les glaciers. Pietro découvre une nature sauvage, âpre qui ne fait pas de cadeau à ceux qui s'y accrochent et tentent d'y vivre. Les baines sont à l'abandon, là-haut, dans les pâturages d'altitude, et les hommes taiseux.

Chaque séjour les lie profondément, chaque séjour fait découvrir au jeune Pietro une facette inconnu de son père, homme peu expansif et taciturne : quand le père pose le pied en montagne, il se relâche et n'a de cesse de gravir les pentes pour atteindre un des sommets de la chaîne alpine. Gravir, marcher et ce sans s'arrêter pour profiter des paysages grandioses : seule compte l'arrivée au sommet. Bien plus tard, une fois adulte, Pietro découvrira les « traces » laissées par les coureurs de sommet, dans une petite boîte en fer, dont celles de son père. Pietro ne parvient pas à adhérer à l'enthousiasme montagnard de son père et un jour il refusera de l'accompagner marquant la rupture avec l'enfance. Le tout sous le regard parfois goguenard de la mère, le lien entre le père et le fils, elle qui sait si bien jouer la partition du couple pour désamorcer les conflits. Elle s'accommode de son époux pour mieux vivre sa vie.

La vie séparera les deux amis, Pietro ira à la fac puis deviendra réalisateur, Bruno sera maçon, comme son paternel, et construira des maisons. Pietro quittera une montagne pour une autre qui lui en redonnera le goût : les Alpes italiennes laissent place au Népal et à l'Hymalaya. Etre loin recentre Pietro, le réconcilie avec lui-même mais pas avec son père.

Le cercle enchâssant la symbolique des huit montagnes fera que Pietro reviendra dans son Val d'Aoste à la mort de son père. Ce dernier lui lègue une cahute brinquebalante, une barma qu'il remontera avec Bruno, créant ainsi un point d'ancrage, un refuge, au cœur d'une montagne aussi grandiose que dangereuse.


« Les huit montagnes » est un roman envoûtant par la tristesse ineffable qui s'en dégage malgré les beautés que la nature offre généreusement à celui qui sait être à son écoute. On peut passer sa vie à ne pas comprendre celui qui vous a engendré, on peut passer le reste de sa vie à le regretter sans pouvoir y remédier. On ne revient jamais en arrière, on atteint, dans le cycle de la roue, le point que l'on a quitté des années auparavant, le regard changé et apaisé.

Paolo Cognetti écrit l'intime et le grandiose avec authenticité, avec une magnifique simplicité dans les mots, dans les propos des héros. La simplicité apporte une force narrative dont on ne se lasse pas. On est dans la montagne, à la suite des deux galopins, on suffoque lorsqu'on gravit, derrière le pas alerte du père, on s'extasie devant les scènes vivantes offertes par une montagne fière, lumineuse, chafouine et parfois sombre. On participe à cette ode à la nature qui nous rappelle combien elle est précieuse.

La montagne, univers mystérieux, dépaysant et terrifiant, pour celui, et j'en fais partie, qui n'y est pas né, qui ne la connaît pas et qui ne sait pas l'apprivoiser. Elle peut achever les plus coriaces et les avaler sans qu'ils laissent aucune trace avant le printemps suivant ou conserve à jamais le mystère d'une disparition.

J'ai été charmée par le roman de Paolo Cognetti, auteur que je ne connaissais pas : l'histoire d'une amitié intense que l'éloignement n'entame en rien. Dix ans peuvent passer sans pour autant rendre deux amis étrangers l'un à l'autre. J'ai également apprécié la justesse des mots et des émotions, notamment la tristesse, fil conducteur silencieux et discret du roman. 

Traduit de l'italien par Anita Rochedy

Une citation :

« Peut-être ma mère avait-elle raison, chacun en montagne a une altitude de prédilection, un paysage qui lui ressemble et dans lequel il se sent bien. La sienne était décidément la forêt des mille cinq cents mètres, celle des sapins et des mélèzes, à l’ombre desquels poussent les buissons de myrtilles, les genévriers et les rhododendrons, et se cachent les chevreuils. Moi, j’étais plus attiré par la montagne qui venait après : prairie alpine, torrents, tourbières, herbes de haute altitude, bêtes en pâture. Plus haut encore, la végétation disparaît, la neige recouvre tout jusqu’à l’été et la couleur dominante reste le gris de la roche, veiné de quartz et tissé du jaune des lichens. C’est là que commençait le monde de mon père. »

Quelques avis :

Babelio  Hachette  Tu vas t'abîmer les yeux  La bulle de Manou  Sens critique  La Croix  Hélène  Mots pour mots  Mes échappées livresques

Lu dans le cadre



3 commentaires:

eimelle a dit…

j'ai eu l'impression de passer un peu à côté, parfois la magie n'opère pas !

Katell a dit…

Bien entendu, cela m'arrive également comme tout un chacun. J'ai eu la même impression que toi lorsque j'ai lu, il y a longtemps, "le cercle littéraire des éplucheurs de patates".

rachel a dit…

Et bin les italiens savent vraiment bien parler de la montagne...j'avais adore le "impossible" de Erri de Luca....vraiment tentant ton livre...;)