lundi 25 avril 2022

Choses dont je me souviens

 


Sôseki Natsume
frôle  la mort en 1910 : un ulcère à l'estomac l'oblige à rester alité plusieurs mois, les pronostics ne sont pas des plus optimistes.

Cependant, la chance est du côté de l'écrivain qui dans « Choses dont je me souviens » relate le quotidien de sa maladie et de ses maux.

Revenir, presque, d'entre les morts donne une nouvelle dimension à la vie et à ses joies.

Etre proche de franchir la ligne ténue entre la vie et la mort instaure une envie, impérieuse ?, de noter impressions et réflexions de ces moments heureux, de pleine conscience d'être libéré des contraintes, parfois lourdes, de la vie quotidienne, ce qui apporte une clarté d'esprit.

Sôseki relate ces moments au cours desquels il établit des bilans, il explore toutes les sensations éprouvées en regardant le ciel d'automne, il compose nombre de haïkus et de kanshis, poèmes respectant la métrique, complexe, de la poésie chinoise.

Il est également humble devant l'immensité des possibles ténèbres comme devant les innombrables joies qu'offre le monde des sensations.

Sôseki est dans l'urgence d'où une relative sécheresse de son style, son âme de poète il la glisse dans ses haïkus dans lesquels la joie comme le désespoir sont dits en peu de mots dont la force d'évocation est indéniable et d'une rare beauté.

Il faut se laisser porter par ses redondances, celles d'un homme qui cherche à se souvenir, qui creuse dans sa mémoire et celle de ses proches pour établir une vue d'ensemble de ce qui lui est arrivé, notamment la perte de connaissance, longue et angoissante, qu'il ne peut revivre que par la mémoire d'autrui.

Avec concision, Sôseki parvient à évoquer l'intime sans outrance et avec une grande pudeur. C'est ce qui fait la grande force de son récit. On est dans sa chambre, on palpe la douleur et l'angoisse avec l'empathie que le récit sait générer ce qui ôte tout voyeurisme et exhibitionnisme. Sôseki exprime avec poésie la finitude, le côté trivial de la vie, et la grâce, la spiritualité inhérente à tout homme sensible. Ainsi ai-je savouré ce kanshi, me représentant Sôseki sur son lit de souffrance, l'esprit en éveil prêt à se repaître de chaque beauté du monde :

Renversé sur le dos
Je suis comme un muet
Silencieux je regarde
L'immensité du ciel
Les nuages sont immobiles
Le jour passe
Rien ne se passe

« Choses dont je me souviens » est un récit mélancolique, parfois décousu mais empreint de l'envie d'atteindre l'idéal d'harmonie, d'exprimer le goût pour la poésie, la peinture, le thé, toutes les choses simples loin de toute vulgarité. L'atmosphère est feutrée, on chuchote, on murmure, on écoute les silences de l'angoisse ou de l'extrême joie.

Je me suis installée, près du narrateur, pour vivre et ressentir à son rythme et me dire que la vie est bien trop courte pour laisser obscurcir son horizon par l'impitoyable finitude. Chaque parcelle du Beau est un instant précieux que l'on se remémore à l'envi.

Traduit du japonais par Elisabeth Suetsugu

Quelques avis :

Babelio  Sens Critique  Textes prétextes

Lu dans le cadre




  


  



8 commentaires:

rachel a dit…

Oh cela doit etre un livre si delicat a la fin...mais je ne sais pas....

MoKa a dit…

J'ai acheté La Porte du même auteur après ma lecture de... Murakami je crois. Je trouve ça chouette que tu aies fait le choix d'une littérature peu présente dans nos sélections. Merci pour ta participation !

Katell a dit…

Merci à vous deux d'être passé chez moi.
@Rachel: franchement ce récit se lit très bien et, malgré la maladie présente, il ne parle pas que d'elle.
@MoKa: j'ai profité de mon mois au Japon pour caler une lecture classique. Il est vrai que l'on se dirige plus, dans ce domaine, vers la littérature française ou européenne. Il y a de beaux écrits à découvrir dans les littératures d'Orient et d'Asie.

PatiVore a dit…

J'aime bien Sôseki mais je n'ai jamais lu ce titre !

Katell a dit…

@PatiVore: je ne peux que te le conseiller.

L'ourse bibliophile a dit…

Ça doit être une belle lecture... J'ai l'impression qu'il faut se laisser porter par les mots, suivre l'auteur dans ses réflexions sans être pressée.

Hilde a dit…

Je n'ai encore jamais lu cet auteur mais tu me tentes. :) L'atmosphère semble très douce.

Fanny a dit…

Je lis très peu de littérature asiatique, voire pas du tout. Je vais essayer d'y remédier.