jeudi 21 avril 2022

Petites boîtes

 


Quatrième de couverture 
:

« La narratrice de ce livre vit dans une ancienne école maternelle. Tout y est petit, au format de ceux qui la fréquentaient autrefois. Cette femme habite seule dans ce jardin d'enfants mais en ces lieux se trouve un auditorium, un endroit précieux où sont recueillies d’étranges petites boîtes... »


Je n'avais pas lu de roman de Yoko Ogawa depuis longtemps, aussi est-ce avec joie que j'ai lu « Petites boîtes ».

La narratrice vit dans une ancienne école maternelle où tout est petit, à la mesure d'enfants de 3 à 5 ans. J'ai aussitôt pensé à Alice, au pays des merveilles, avec une différence importante : elle n'est pas passée de l'autre côté du miroir et ne s'y trouve pas prisonnière.

Elle prend soin de l'école et de ses bâtiments silencieux. Seul l'ancien auditorium connaît une activité régulière car il abrite d'étranges petites boîtes en verre. Que contiennent-elle ? D'où viennent-elles ?

De l'ancien musée de la ville, elles contenaient et protégeaient les vestiges et servent, dorénavant, à recueillir les souvenirs des enfants disparus. Leurs parents leur rendent visite, discutent des petits riens de la vie, changent les décors en fonction des saisons, imaginent la manière dont aurait grandi leur enfant décédé.

On croise des anonymes et des personnes connues de la narratrice.

Monsieur Baryton, l'ancien conservateur du musée. Sa fiancée est en soin dans un hôpital d'où elle lui écrit de nombreuses lettres. Au fil des semaines, son écriture devient de plus en plus illisible au point que Mr Baryton sollicite l'aide de la narratrice pour leur retranscription : plus la vie en elle s'amenuise, plus les caractères de son écriture se réduisent jusqu'à disparaître. Depuis la fermeture de son musée, il ne parle plus mais chante ce qu'il dit, sa voix enchante les auditeurs cependant il préfère se murer dans le silence.

La cousine de la narratrice a perdu son fils et depuis refuse de prendre d'autres chemins que ceux qu'il a parcouru. Elle ne lit que les ouvrages d'auteurs morts, ne sort que très peu hormis pour vendre ses bentos et visiter la boîte dans laquelle reposent les souvenirs de son enfant.

La coiffeuse aime jouer sur les jeux d'extérieur : chaque dimanche elle joue selon un parcours immuable. Elle passe beaucoup de temps à coiffer les poupées représentant les enfants disparus. Elle répare les lyres-pendentifs avec les cheveux, si fins, des jeunes enfants morts.

Le dentiste, que les élèves de l'école maternelle appelaient Mr Carie, utilise ses instruments pour créer des jouets ou de minuscules instruments de musique que les gens porteront en pendentif aux oreilles lors des concerts de soi à soi, sur la colline lorsque le vent est favorable.


« Petites boîtes » aborde le thème essentiel de la conservation du souvenir, de la mémoire. Les parents des enfants morts peuvent devenir résilients au fil de leurs visites. Les anniversaires sont fêtés, les cérémonies de remise de diplômes, un mariage même est célébré, celui du fils de la cousine. Les années passent, le souvenir reste et est magnifié par le soin apporté aux petites boîtes en verre, à la fois fragiles et fortes.

Le roman peut désarçonner et il est possible de ne pas y entrer car, pour un occidental il peut avoir un côté morbide et glauque dans l'installation des rangées de boîtes en verres dans lesquelles des poupées sont disposées, matérialisant les disparus. Les parents sont-ils dans le déni ? Au début, j'étais mal à l'aise car oui, le spectacle de ces boîtes dans l'auditorium et les rituels des adultes sont très dérangeants. Cependant, il ne faut pas perdre de vue qu'au Japon le rapport avec la mort et les morts n'est pas le même qu'en occident : l'autel des ancêtres dans les maisons où chaque jour une offrande est faite, les visites rituelles au temple, la discussion naturelle avec les disparus montrent que les disparus ne sont jamais loin.

Le malaise ressenti, parfois, lors de la lecture, peut venir, également, du fait que la ville semble avoir été détruite ou abandonnée à partir du moment où les enfants ont disparu. Les enfants ne sont que des souvenirs. Que s'est-il passé ? Liberté est laissée à l'imagination du lecteur.


Il y a des scènes étrangement poétiques, notamment celles des concerts de soi-à-soi au cours desquels, les parents orphelins de leur enfant, portent des pendentifs aux oreilles. Ce qui peut être très macabres est la composition des instruments de musique silencieux pour le public : ils sont faits d'os d'enfant, perpétuant ainsi le lien filial. Tout l'art de Yoko Ogawa est de montrer combien les liens entre le visible et l'invisible, ce que l'on entend et ce que l'on n'entend pas, exercent une force magnifique même si cela vole en éclats lors d'une tempête... purificatrice ?

Ces liens, distendus ou carrément inexistants en occident, sont vivaces au Japon. En les évoquant et en les invoquant, Yoko Ogawa apporte, avec délicatesse et poésie, une dimension fantastique au roman. Quoi de plus proche du fantastique que ces boîtes dans lesquelles grandiront les enfants morts, que ces absences qui sont autant de présences.


« Petites boîtes » est un roman surprenant et fascinant : on se surprend à lire en chuchotant car partout règne le calme et le silence. Parfois, on perçoit une galopade, un éclat de rire enfantin, faisant ressurgir la vie. Cela peut être perçu comme atroce ou émouvant.

Je suis tombée, une fois encore, sous le charme de l'écriture de l'auteure, écriture à la grande force d'évocation. Je l'ai beaucoup apprécié car il n'y a pas de tristesse infinie dans cette manière de construire la mémoire autour des disparus et loin d'être le déni de la mort, c'est un moyen de conserver les souvenirs.

Traduit du japonais par Sophie Rèfle


Quelques avis :

Babelio  Télérama  Marianne

Lu dans le cadre:



 



3 commentaires:

rachel a dit…

On y retrouve son theme favori: le rappel des morts, ou la garde des souvenirs....en tout cas cela semble etre un tres bon Yogo

Katell a dit…

Je confirme, Rachel, c'est un excellent Ogawa.

Hilde a dit…

Quel roman troublant! Je suis toujours perturbée par les histoires de Yôko Ogawa. Tu évoques le côté peu morbide, c'est vrai qu'on se sent parfois mal à l'aise. Je me suis rendue compte, pendant la rédaction de mon billet, que cette lecture m'avait touchée plus que je n'imaginais. C'est vraiment une expérience de lecture particulière et j'aime beaucoup cette écriture.