mercredi 20 août 2008

Comme dans un film de David Lynch

Nathan Wilbe est un peintre connu et reconnu de New York, il a tout pour être heureux, joli appartement, aisance matérielle, amis. Seulement, la façade se craquèle depuis bien longtemps: Nathan est hanté par des rêves d'une autre vie, d'une vie où il côtoya Jésus et son enseignement. Oui, Nathan a un problème sérieux avec lui-même, il n'est pas interné mais suit une thérapie auprès de Parish son psychiatre. A mesure que son état sombre vers la folie, Nathan se cloître chez lui, au milieu de ses toiles, nombreuses sont celles qui sont inachevées, et de ses manies. Peu à peu ses hallucinations prennent de l'ampleur, à tel point qu'il ne sait plus démêler ses rêves de son histoire personnelle.
La scène d'ouverture laisse entrevoir les pans d'une histoire sans fin: la mère de Nathan est en train d'accoucher et un candidat à la réincarnation, pas vraiment enchanté, attend qu'un ange lui touche l'épaule pour que tout son passé s'efface avant que son âme aille rejoindre le corps du nourrisson en train de naître.
Un minuscule instant semble être oublié avant la grande descente....Nathan naît, grandit dans l'absence du père, au coeur d'une famille recomposée et aux côtés d'une mère aussi fantasque qu'étrange.
Des bribes de sa première existence remontent des limbes de la mémoire, téléscopant une réalité qu'il a de plus en plus de difficulté à appréhender. Nathan nage en pleine confusion, s'empêtre dans mille et une directions plus improbables les unes que les autres, une d'elles l'entraînent dans un bar étrange, l'Angel's bar, où il a rendez-vous avec une potentielle acheteuse d'une de ses toiles. Les heures passent, les consommateurs sont de plus en plus étranges, des petits pains apparaissent sans qu'on y touche, le rendez-vous se fait attendre, Nathan griffonne des mots, des phrases sur son carnet, ébauche du roman de sa vie. Soudain, il lui semble apercevoir Aerin, son ex petite amie, mère de sa fille, dans la rue: Nathan sort en trombe, oubliant le carnet dans le bar. Lorsqu'il revient le lendemain, le bar ne semble être qu'un entrepôt à l'abandon...à l'intérieur des tables et sur celles-ci des petits pains et un carnet, son carnet qu'il feuillette: ce qu'il y a écrit a entièrement disparu "Les mots qu'il avait eu tant de mal à apprivoiser s'étaient échappés" (p 183).
"Nevropolis" est un premier roman dans lequel le lecteur se promène au gré des reminiscences de Nathan, héros désarçonnant, et de ses égarements psychiques. Le dédale des entrées est multiple et complexe comme un film de David Lynch: parfois on ne sait pas où le héros veut en venir, où l'auteur veut emmener son lecteur. Le jeu de piste peut être éreintant comme motivant, les références culturelles et historiques sont d'une grande richesse et sont autant de petits cailloux pouvant aider à retrouver son chemin. Comme dans les films de Lynch, l'ambiance est d'un grand onirisme, le lecteur oscille entre rêves et hallucinations, entre ombres et lumières, entre compréhension et étonnement total. Comme devant les images de Lynch, on a l'impression de ne pas tout saisir et de passer à côté de quelque chose, mais comme pour les films de Lynch doit-on vraiment essayer de tout comprendre?
Le personnage est agaçant mais aussi émouvant car à la recherche du pourquoi de son passage sur terre, quelle est son utilité voire sa mission? Son errance à travers les siècles trouvera-t-elle un jour un havre de paix? L'existence est-elle toujours une souffrance? Nathan a tenté d'enchanter son monde à travers sa peinture, ses couleurs (au fait, David Lynch peint aussi!) et d'y apporter une réponse, réponse que l'on ne saisit pas dans sa totalité...comme une peinture, une musique ou un film, un roman doit-il apporter une réponse entière?
Jean Hartleyb a une écriture fluide, agréablement musicale, à l'humour inattendu (certaines situations sont vraiment cocasses, comme celle dans l'Angel's bar où le surréalisme est joyeux), aux belles phrases, longs plans séquences au cours desquels la magie de l'onirisme emporte le lecteur vers un ailleurs incertain mais fascinant....comme les films de Lynch. Oui, j'insiste car tout au long de ma lecture, j'ai eu la sensation, agréablement dérangeante, d'être dans un de ses films. Comme je suis une admiratrice du cinéaste et que j'aime ses films, je n'ai pas peiné dans le roman de Jean Hartleyb, même si parfois les références au monde de la psychiatrie me faisaient lâcher prise.
Au final, une lecture surprenante, intéressante parfois dérangeante, où l'ombre du 11 septembre 2001 plane sur les toiles de Nathan. Je ne suis pas critique littéraire, seulement une lectrice, mais peut-être que le cheminement de Nathan aurait gagné en netteté en partant moins dans tous les sens et en étant moins opaque. En me plaçant dans l'optique de la référence des films de Lynch, ma lecture a accepté certains errements du récit...après tout une part de mystère insondable n'est pas nécessairement inutile.

Je remercie Jean Hartleyb d'oser lancer son roman dans la blogosphère.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
c'est la première fois que je laisse un commentaire ici. Pourtant, je lis régulièrement ce blog, c'est un de mes préférés. J'admire votre travail de "pro" et votre constance (que d'efforts et de temps derrière tous ces posts). Donc, juste un message pour vous dire "merci" et vous encourager à continuer!

Katell a dit…

@daniela dahler: je suis rouge de confusion et de plaisir à la lecture de votre gentil compliment. Je vous remercie pour vos visites même silencieuses ;-)
A bientôt.

Anonyme a dit…

Hou la la, la référence à David Lynch m'inquiète un peu car j'aime certains de ses films mais pas tous !!!