lundi 15 juin 2020

L'été anglais rimerait-il avec fraises sauvages?

Nous ne savons pas quand se déroule exactement le roman, les quelques indices dispersés par l'auteure font situer l'action dans les années Trente.
La famille Leslie accueille pour l'été Mary Preston, une nièce de Lady Leslie, à Rushwater House, leur très agréable résidence dans la campagne anglaise, à quelques heures de Londres.
L'été s'annonce joliment entre parties de tennis et de cricket, promenades au grand air, concert des métayers et bals, dans l'insouciance des beaux jours.
Angela Thirkell dans « Le parfum des fraises sauvages » nous dresse une galerie de portraits plus amusants les uns que les autres, miroirs de la bonne société anglaise des années Trente où tout semble figé : les serviteurs observent, parfois commentent mais jamais n'agissent au-dessus de leur rang, les maîtres vivent, échangent sous les regards de ces derniers sans s'émouvoir le moins du monde.
Lady Emmy est tête en l'air et aime, à plaisir, compliquer les moindres événements de la vie domestique et sociale. Son étourderie est telle qu'elle en devient excentrique et délicieusement évaporée.
Sir Leslie est l'archétype du hobereau plus immergé dans les affaires du domaine, notamment son élevage de taureaux, qu'enclin à participer pleinement à la vie domestique, à tel point que ses interventions en deviennent décalées et immanquablement drôles. Il est vrai que pour lui une femme se doit d'être futile, intéressée par et investie dans l'éducation de ses enfants et dévouée corps et âme à son époux.
Agnès Graham, fille des Leslie, est une image d'Epinal à elle seule : d'une beauté digne d'un personnage féminin de Jane Austen sans en posséder une once d'esprit critique. Cela ne la rend pas plus ridicule pour autant, du moins ne l'ai-je pas vue ainsi. Certes on ne peut que sourire, et parfois être agacé, lorsqu'elle gourmande ses enfants d'un éternel « Vilains, vilaines, vous êtes vilains » et les confie à leur Nannie. Elle ne voit la vie que par le prisme de la vie familiale sous l'autorité suprême de son époux, le Capitaine Graham, l'Absent toujours présent du roman. Elle a fait un mariage arrangé et s'en trouve heureuse et épanouie. Sa vie semble n'être que vacuité et pourtant... on sent qu'elle a les moyens d'être autre que l'image qu'elle renvoie.
David Leslie, le jeune homme charmant et charmeur qui fera chanceler et défaillir la délicate Mary Preston. Son égoïsme n'a d'égal que son talent à se faire pardonner chaque manquement. Il se veut être l'artiste de la famille et a un roman en cours d'écriture, ou plutôt a-t-il l'idée d'écrire un roman qu'il veut proposer comme pièce de théâtre ou comme film alors qu'aucun mot n'en a encore été couché sur le papier. Chacun de ses gestes envers Mary peut prêter à confusion : est-ce par attirance ou simple sympathie qu'il lui dépose un baiser au creux de sa paume, qu'il lui promet un saladier de fraises sauvages ? Plutôt son inconséquence née de son indécrottable égoïsme.
Martin, dix-sept ans, est l'héritier du Domaine suite au décès, à la guerre, de son père. Il réussit à échapper à un séjour linguistique en France pour rester dans le cocon familial pendant l'été. Cependant, sa manœuvre lui fera subir les leçons de français de Madame Boulle, locataire de Mr Banister, révérend et propriétaire du presbytère.
C'est l'occasion pour l'auteure de pointer, malicieusement, les a priori des Anglais vis à vis des Français : « J'ose espérer, Henry, que les canalisations du presbytère sont en état si Martin doit y séjourner, car les Français sont assez vagues pour ce qui est des sanitaires. » (p 94)
John, le fil puîné devenu l'aîné suite à la disparition  du père de Martin, est un trentenaire, donc vieux, veuf inconsolable. Il a le sens du devoir, de l'élégance, et travaille à Londres en tant qu'homme d'affaires prospère. C'est la voix de la sagesse et de la temporisation.
Mary Preston, jeune fille de prime abord naïve car elle tombe très vite sous le charme de David. Cependant, au fil du roman, elle apparaît comme une femme qui sait penser par elle-même, qui exprime ses idées tout en respectant le code des convenances. Elle dénoue beaucoup de nœuds domestiques, se rend compte de la vacuité de certains de ses sentiments. Elle ressemble, elle aussi, aux héroïnes de Jane Austen, l'emportement des sentiments en moins. Elle nous fait sourire, parfois rire, lorsqu'elle se pâme devant les attentions de David qui semblent prises pour argent comptant. J'avoue que l'auteure a bien su masquer la cible des vrais sentiments amoureux éprouvés par Mary. Pourtant il suffisait de lire entre les lignes, de s'arrêter sur certaines descriptions, sur quelques scènes fugaces.

« Le parfum des fraises sauvages » est une comédie romantique absolument délicieuse qui au-delà d'une apparente mièvrerie, nous raconte une Angleterre que j'oserai qualifier d'éternelle.
Cette ambiance particulière, presque indicible, m'a également fait penser aux romans japonais dans la façon de relater l'insignifiance d'un quotidien pour en extraire ce qu'il a d'unique.
Ce fut comme assister à une agréable « causerie » grâce à laquelle le temps s'arrête et transporte le lecteur dans un tableau de scènes ordinaires.
D'aucuns penseront que « Le parfum des fraises sauvages » est insignifiant, suranné, mièvre ou consternant, j'ai aimé cette lecture, souri et ri plus d'une fois avec dans la tête la musique du film « Meurtre dans un jardin anglais »... allez savoir pourquoi !

Quelques avis


Lu dans le cadre du:


5 commentaires:

rachel a dit…

oh oui la 2eme critique positive...vous nous donnez vraiment envie...ouiii

Bianca a dit…

Je l'ai lu aussi et publié mon avis hier et comme toi j'ai trouvé ce roman délicieux !

Lou a dit…

Il est depuis un moment dans ma PAL et tu me donnes évidemment envie de le lire. J'aime beaucoup les romans en rapport avec cette époque fascinante. Je suis intriguée par ta comparaison aux Japonais. Est-ce que cette façon de décrire les petites pensées et détails d'apparence insignifiants n'est pas aussi une caractéristique d'une certaine littérature anglaise ? Toujours est-il qu'aimant aussi la littérature japonaise je serais curieuse de découvrir enfin le texte et de voir comment je perçois cet aspect des choses. Belle soirée ! :)

Alexielle a dit…

J'aime beaucoup ce genre d'ambiance très british ^^ Je note !

Katell a dit…

@Rachel: c'est une agréable lecture.
@Bianca: j'ai ajouté ton avis en lien à consulter.
@Lou: Au fil de mes lectures "mois anglais" je ne peux que confirmer le lien de parenté, dans la relation des menus faits de l'existence, entre le roman japonais et un volet de la littérature anglaise. La lecture "Des femmes remarquables" de Barbara Pym m'a confortée dans cette impression.
@Alexielle: un roman à découvrir!