Nous ne savons pas quand se déroule exactement le roman, les
quelques indices dispersés par l'auteure font situer l'action dans les années Trente.
La famille Leslie accueille pour l'été Mary Preston, une
nièce de Lady Leslie, à Rushwater House, leur très agréable résidence dans la
campagne anglaise, à quelques heures de Londres.
L'été s'annonce joliment entre parties de tennis et de
cricket, promenades au grand air, concert des métayers et bals, dans
l'insouciance des beaux jours.
Angela Thirkell dans « Le parfum des fraises
sauvages » nous dresse une galerie de portraits plus amusants les uns que
les autres, miroirs de la bonne société anglaise des années Trente où tout
semble figé : les serviteurs observent, parfois commentent mais jamais
n'agissent au-dessus de leur rang, les maîtres vivent, échangent sous les
regards de ces derniers sans s'émouvoir le moins du monde.
Lady Emmy est tête en l'air et aime, à plaisir, compliquer
les moindres événements de la vie domestique et sociale. Son étourderie est
telle qu'elle en devient excentrique et délicieusement évaporée.
Sir Leslie est l'archétype du hobereau plus immergé dans les
affaires du domaine, notamment son élevage de taureaux, qu'enclin à participer
pleinement à la vie domestique, à tel point que ses interventions en deviennent
décalées et immanquablement drôles. Il est vrai que pour lui une femme se doit
d'être futile, intéressée par et investie dans l'éducation de ses enfants et
dévouée corps et âme à son époux.
Agnès Graham, fille des Leslie, est une image d'Epinal à elle
seule : d'une beauté digne d'un personnage féminin de Jane Austen sans en
posséder une once d'esprit critique. Cela ne la rend pas plus ridicule pour autant,
du moins ne l'ai-je pas vue ainsi. Certes on ne peut que sourire, et parfois
être agacé, lorsqu'elle gourmande ses enfants d'un éternel « Vilains,
vilaines, vous êtes vilains » et les confie à leur Nannie. Elle ne voit la
vie que par le prisme de la vie familiale sous l'autorité suprême de son époux,
le Capitaine Graham, l'Absent toujours présent du roman. Elle a fait un mariage
arrangé et s'en trouve heureuse et épanouie. Sa vie semble n'être que vacuité
et pourtant... on sent qu'elle a les moyens d'être autre que l'image qu'elle
renvoie.
David Leslie, le jeune homme charmant et charmeur qui fera
chanceler et défaillir la délicate Mary Preston. Son égoïsme n'a d'égal que son
talent à se faire pardonner chaque manquement. Il se veut être l'artiste de la
famille et a un roman en cours d'écriture, ou plutôt a-t-il l'idée d'écrire un
roman qu'il veut proposer comme pièce de théâtre ou comme film alors qu'aucun
mot n'en a encore été couché sur le papier. Chacun de ses gestes envers Mary peut prêter à
confusion : est-ce par attirance ou simple sympathie qu'il lui dépose un
baiser au creux de sa paume, qu'il lui promet un saladier de fraises
sauvages ? Plutôt son inconséquence née de son indécrottable égoïsme.
Martin, dix-sept ans, est l'héritier du Domaine suite au
décès, à la guerre, de son père. Il réussit à échapper à un séjour linguistique
en France pour rester dans le cocon familial pendant l'été. Cependant, sa
manœuvre lui fera subir les leçons de français de Madame Boulle, locataire de
Mr Banister, révérend et propriétaire du presbytère.
C'est l'occasion pour l'auteure de pointer, malicieusement,
les a priori des Anglais vis à vis des Français : « J'ose espérer,
Henry, que les canalisations du presbytère sont en état si Martin doit y
séjourner, car les Français sont assez vagues pour ce qui est des
sanitaires. » (p 94)
John, le fil puîné devenu l'aîné suite à la disparition du père de Martin, est un trentenaire, donc
vieux, veuf inconsolable. Il a le sens du devoir, de l'élégance, et
travaille à Londres en tant qu'homme d'affaires prospère. C'est la voix de la
sagesse et de la temporisation.
Mary Preston, jeune fille de prime abord naïve car elle tombe
très vite sous le charme de David. Cependant, au fil du roman, elle apparaît
comme une femme qui sait penser par elle-même, qui exprime ses idées tout en
respectant le code des convenances. Elle dénoue beaucoup de nœuds domestiques,
se rend compte de la vacuité de certains de ses sentiments. Elle ressemble, elle aussi, aux
héroïnes de Jane Austen, l'emportement des sentiments en moins. Elle nous fait
sourire, parfois rire, lorsqu'elle se pâme devant les attentions de David qui
semblent prises pour argent comptant. J'avoue que l'auteure a bien su masquer
la cible des vrais sentiments amoureux éprouvés par Mary. Pourtant il suffisait
de lire entre les lignes, de s'arrêter sur certaines descriptions, sur quelques
scènes fugaces.
« Le parfum des fraises sauvages » est une comédie
romantique absolument délicieuse qui au-delà d'une apparente mièvrerie, nous
raconte une Angleterre que j'oserai qualifier d'éternelle.
Cette ambiance particulière, presque indicible, m'a également
fait penser aux romans japonais dans la façon de relater l'insignifiance d'un
quotidien pour en extraire ce qu'il a d'unique.
Ce fut comme assister à une agréable « causerie »
grâce à laquelle le temps s'arrête et transporte le lecteur dans un tableau de
scènes ordinaires.
D'aucuns penseront que « Le parfum des fraises
sauvages » est insignifiant, suranné, mièvre ou consternant, j'ai aimé cette
lecture, souri et ri plus d'une fois avec dans la tête la musique du film
« Meurtre dans un jardin anglais »... allez savoir pourquoi !
Quelques avis
Lu dans le cadre du:
5 commentaires:
oh oui la 2eme critique positive...vous nous donnez vraiment envie...ouiii
Je l'ai lu aussi et publié mon avis hier et comme toi j'ai trouvé ce roman délicieux !
Il est depuis un moment dans ma PAL et tu me donnes évidemment envie de le lire. J'aime beaucoup les romans en rapport avec cette époque fascinante. Je suis intriguée par ta comparaison aux Japonais. Est-ce que cette façon de décrire les petites pensées et détails d'apparence insignifiants n'est pas aussi une caractéristique d'une certaine littérature anglaise ? Toujours est-il qu'aimant aussi la littérature japonaise je serais curieuse de découvrir enfin le texte et de voir comment je perçois cet aspect des choses. Belle soirée ! :)
J'aime beaucoup ce genre d'ambiance très british ^^ Je note !
@Rachel: c'est une agréable lecture.
@Bianca: j'ai ajouté ton avis en lien à consulter.
@Lou: Au fil de mes lectures "mois anglais" je ne peux que confirmer le lien de parenté, dans la relation des menus faits de l'existence, entre le roman japonais et un volet de la littérature anglaise. La lecture "Des femmes remarquables" de Barbara Pym m'a confortée dans cette impression.
@Alexielle: un roman à découvrir!
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