La Chine du nord, celle du grand nord où l'hiver est long, très, très long au point que l'on se demande si le printemps reviendra.
Harbin ville construite par les Russes après la révolution d'Octobre, refuge d'une diaspora juive et de russes blancs.
Xiao'e, une jeune fille issue d'un milieu modeste, croise le chemin de Léna, une pianiste russe juive dont la famille a émigré ici après la révolution de 1917. La première ne parvient pas à conserver ses logements chez l'habitant, la seconde, aveugle, cherche de la compagnie. Tout les oppose, cependant, au fil de leur apprivoisement respectif, elles tisseront des liens indéfectibles.
L'histoire est parsemée de détails a priori insignifiants, se fondant dans le brouillard formé par le froid ou dans la mémoire collective. La vie n'a pas été tendre avec Xiao'e comme avec Lena, dans des registres différents leur douleur les rassemble. En petites touches dignes d'un peintre impressionniste, les zones d'ombre sont mises, fugacement, en lumière : un bal dans un des hôtels huppés en compagnie d'officiers japonais, une fête des morts dans un village, près d'une tombe, au cours de laquelle une jeune femme mariée rencontrera son violeur. Lena ne conservera qu'un souvenir de son grand amour, Xiao'e sera le fruit du viol et ne sera jamais considérée comme une enfant légitime. Seuls son demi-frère et sa mère lui apporteront amour et considération.
Dans la nuit hivernale qui dure, chuchotent les fantômes et les amoureux, s'enfuient les illusions perdues qu'on aimerait retrouver, poussent les plantes de Lena, s'envolent les notes de son piano, s'esquissent des tableaux éphémères d'une réalité disparue.
La douceur du récit dissimule la violence et la crudité d'un acte ou des pensées. La neige étouffe les sons, le gel retarde les mouvements, l'air glacé s'embrume jusqu'au printemps. La belle saison est si brève qu'elle est vécue avec avidité dans une urgence éblouissante. Les couleurs ternes s'effacent pour le bal des couleurs vives et sensuelles, la floraison des pruniers montre combien l'impermanence fait partie de la vie.
Xiao'e et Lena, deux caractères forts, deux vécus qui forgent les volontés et arment l'entrée dans le monde. Xiao'e grandit aux côtés de Lena qui, possédant l'art d'harmoniser les couleurs et les choses, devient bouton triste qui éclot en une belle fleur. Telle une rose aux épines dissimulées.
Comme souvent, la littérature chinoise (ou japonaise) esquive l'explicite pour privilégier l'implicite : ainsi, entre non-dits et minuscules indices, se cache l'évidence pour se dévoiler petit à petit. Quelques touches pour transformer les apparences, pour évoquer la spiritualité dans chaque petit incident, minuscules chaos de l'existence.
Chi Zijian sait faire surgir la poésie en quelques mots, en un rythme au cours d'une phrase, au croisement de la tristesse et de la peine. Elle chante la beauté de la Mandchourie et de ses paysages.
Elle raconte également, en racontant la vie de ses deux héroïnes, la société chinoise actuelle, la misogynie, le comportement des hommes peu reluisant, la violence au sein d'un couple, l'acrimonie avec laquelle certains ne pensent qu'au gain, l'égoïsme pendant d'une société de plus en plus individualiste, les croyances archaïques (le costume funéraire que l'amoureux de Xiao'e transporte dans sa valise), la pauvreté proche de la misère des campagnes, la pollution dans les grandes centres urbains. La modernité n'altère pas l'aspiration au beau, Xiao'e et Lena en sont le parfait exemple.
Roman traduit du chinois par Yvonne André
Quelques avis :
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3 commentaires:
La couverture est très belle et j'aime beaucoup ce genre de livres alors je le note, merci pour la découverte !
La couverture a été pour beaucoup dans mon achat. Je ne le regrette pas du tout car le roman est vraiment très beau.
Oh cela reste pour moi, un tres tres bon souvenir...ce duo, cette ville en neige et les mouvements entre personnage...j'avais vraiment aime...;)
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