Je suis une grande lectrice de nouvelles, j'aime découvrir des tranches de vie qu'elles soient amusantes, joyeuses ou tristes.
J'aime aussi découvrir de nouveaux horizons surtout lorsque
je ne connais que peu d'auteurs d'un pays. C'est une des raisons qui m'ont
décidée à participer aux "Etapes indiennes" organisées par Hilde.
J'ai beaucoup lu Bulbul Sharma, je me délectée de « La
colère des aubergines » de « Mes sacrées tantes » ou de
« Mangue amère » nouvelles aussi épicées que la cuisine d'Inde.
Il était temps d'ouvrir d'autres recueils et c'est chose
faite avec « Les ombres de Kittur » d'Aravind Adiga.
Autant les nouvelles de Sharma s'orientent vers la condition
féminine en Inde et le statut de la femme au sein de la société régie par le
système de castes, autant « Les ombres de Kittur » sont des récits
qui s'éclairent les uns les autres.
L'auteur invite le lecteur à suivre un itinéraire touristique
sur plusieurs journées, elles-mêmes divisées en matinée et après-midi.
Kittur, ville portuaire imaginaire sur la mer d'Oman proche
des pays du Golfe, eldorado ou enfer, offre un formidable terreau d'histoires
et invoque l'Inde entière dans sa galerie de personnages aussi attachants
qu'ils peuvent être horripilants.
Kittur, ses enfants des rues, ses mendiants, ses travailleurs
sur exploités sans vergogne par plus fort qu'eux, ses castes qui parfois se
mélangent, ses trafics, ses aspirations philosophiques ou politiques, ses
nombreuses religions, ses immigrés tamouls sans oublier ses rikshawallahs, forçats de la route pédalant sans relâche
pour gagner trois roupies dans des courses harassantes, ses hommes politiques
roublards et ses fonctionnaires corrompus.
On croise un vendeur de photocopies illégales des « Versets
sataniques » de Salman Rusdie. Les policiers et l'avocat sont rompus à la
routine de l'arrestation du bonhomme Ramakrishna
Xerox qui à peine libéré reprendra son commerce misérable.
On rencontre un jeune « métis » issu d'une union
entre un brahmane et une femme issue d'une basse caste, Shankara. Le jeune homme fait partie
d'un groupe de mauvais garçons au lycée privé tenu par les Jésuites. Il raille
l'autorité, se moque des professeurs et prend du bon temps. Un jour il entend
que pour fabriquer une bombe il suffirait d'acheter de l'engrais. Shankara
appartient à la classe aisée sans en
posséder tous les codes. Il en fera les frais à plusieurs reprises car il a
tendance à tout prendre au pied de la lettre. Il posera sa bombe qui ne fera
pas de grands dégâts mais le mettra devant ses incohérences et face à la
réalité. On ne peut qu'être peiné de le voir errer aux frontières de
l'acceptation de sa caste.
On suit le dur périple d'une fillette, Soumya, à travers la
ville, en quête de la dose d'héroïne pour son père. La moindre roupie épargnée
est dépensée dans une dose pour que le père tienne le coup, lui qui s'esquinte
à démolir ou construire les villas cossues des classes aisées. Un shoot pour
oublier la misère, l'accablement et le désespoir.
On s'arrête aux côtés du jardinier catholique, George
D'Souza, au service de Madame Gomez. Les liens se tissent sur fond d'absence de
l'époux, au point de rendre difficile à tenir la distanciation sociale entre
l'employeur et l'employé.
On compatit aux malheurs de Murali, brahmane converti aux
valeurs communistes. Au fil des litanies des solliciteurs, il se prend
d'intérêt pour une jeune fille qui à la mort de son père voit les possibilités
de mariage s'évanouissent. Il fera en sorte que la veuve reçoive des aides financières
et il en sera fort mal récompensé. Il prend conscience qu'il est passé à côté
de sa vie. Une nouvelle triste et sombre narrant la vie d'un homme qui crut
possible de changer le mode de vie hindou.
On rejoint le couple sans enfant amoureux de leur cadre de
vie : vivre en lisière de la dernière forêt de la région, loin de
l'agitation de la ville industrieuse. Jusqu'au jour où la cupidité immobilière
ne s'encombre plus de la nature.
On sourit en observant Abbasi le propriétaire, musulman, d'un
atelier de confection, se débattre avec la corruption des fonctionnaires. On
sourit et on rit car il y a des scènes savoureuses d'ironie où on se demande
qui gruge qui.
Ces destinées attachantes, émouvantes, que suit le lecteur au
rythme des transports en commun ou des livraisons en vélo, sont autant
d'exemples d'enjeux, identiques et horribles, des castes, de pouvoir et de
classe. L'Inde de la misère et de l'injustice marquée par les assassinats
d'Indira Ghandi et de son fils Rajiv. Nous sommes loin des papotages entre
femmes autour des plats à préparer.
« Les ombres de Kittur » relate les destins d'être
cabossés par la vie, d'hommes et de femmes englués dans le cercle vicieux des
préjugés sociaux et celui de la misère endémique.
Ce recueil de nouvelles est un texte fort, livrant sans
filtre la réalité d’une Inde aux portes de la modernité : des talents à
revendre englués dans une bureaucratie veule. Le miracle économique tant vanté
à l’époque est aux antipodes de ce qui fut « vendu » à l’Occident.
Quelques avis
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2 commentaires:
Oh oui des personnages bien epicees.....dans chaque secteur....chaque histoire a sa saveur...;)
J'ai lu ce recueil il y a neuf ans, et j'ai du mal à me souvenir de Kittur et de ses habitants. Les récits ne m'ont pas marquée. Certains m'avaient touchée, d'autres rendue un peu perplexe, j'étais même un peu déçue à l'époque.
De nombreuses problématiques de l'Inde sont évoquées, j'avais noté que tous les personnages ou presque souhaitaient changer la société mais je pense qu'il n'y avait pas vraiment de note d'espoir. Est-ce que je me trompe ?
J'ai passé de bons moments aussi avec Bulbul Sharma. C'est sûr qu'on n'est pas sur le même genre de récits.
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