jeudi 20 mai 2021

Ce soir on soupe chez Pétrone


 

Le mois italien ne peut se dérouler sans une lecture consacrée à Rome, ses empereurs vertueux, libidineux ou fous furieux, son Forum, ses patriciens, son Sénat, ses intrigues, ses magnificences, ses artistes et ses conquêtes qui firent de cette ville extraordinaire un immense empire.

Etrangement, la plume n'est pas italienne mais française : Pierre Combescot dont la faconde et le style unique font les délices du lecteur le temps d'une immersion en 66 après JC, auprès d'un Pétrone au crépuscule de sa vie.


Tout le monde connaît Pétrone, n'est-ce pas ? Auteur du célèbre « Satyricon » ou plus exactement auteur de « La vie aventureuse d'Encolpe et de Giton, vagabonds exemplaires et miroirs des filous ». Pétrone, l'écrivain favori de Néron, l'écrivain qui voyait en l'empereur instable et sanguinaire un acteur inégalable, un artiste incompris. Aveuglement ou désenchantement ironique ?

Lysias, le protégé du maître, relate la vie de Pétrone et essentiellement la dernière partie, celle qui le conduira à devancer l'ordre mortifère de Néron.


« Ce soir on soupe chez Pétrone » est un roman historique étonnant et surtout truculent grâce à la plume de Pierre Combescot qui narre avec humour la Rome de Néron. La langue est somptueusement crue, leste, jamais vulgaire, et décrit avec verve le cloaque incroyable qu'a pu être Rome. L'érudition de l'auteur met en scène des personnages licencieux, parfois abjects, avides de stupre et de luxure ; elle anime également un microcosme pouilleux ou parfumé à l'excès, où le snobisme tient sa place avec entrain, où les histoires scabreuses de caleçonnades, à la mode antique, s'enchaînent joyeusement avec de multiples rebondissements.

Il y a de la grivoiserie, un brin de trivialité qui peut choquer les père ou mère la vertu, mais qui donnent corps au récit et brosse le portrait d'une Rome cheminant vers la décadence. La République a toujours ses nostalgiques aux sursauts mal orchestrés voués à l'échec.

Pétrone, proche et intime de Néron, regarde son monde qui se meurt, goguenard et d'un d'oeil égrillard, sans faux espoirs et sans faux-semblant : il sait que les faveurs du Prince ne sont pas éternelles et que viendra le jour où il lui faudra quitter la scène et ce de manière élégante.

Pétrone est un esthète, un homme d'une grande culture, un érudit et un observateur sans concession de la nature humaine …. « ses amis, ses amours, ses emmerdes » chantait Aznavour.

« Ce soir on soupe chez Pétrone » est loin d'être un roman triste, bien au contraire : même si on connaît la fin qu'aura Pétrone, même si la Rome de Néron est loin d'être un fleuve tranquille et serein, je ne m'avancerais pas beaucoup en pensant qu'il y a du picaresque et du beau ! La galerie de personnages présentées est le terreau inestimable sur lequel « Le Satyricon » a prospéré : les aventures que traversent Encolpe et Giton sont autant de contestations de l'ordre, non pas social, bien que Pétrone avant de mourir ait affranchi tous ses esclaves, plutôt politique établi, la toge patricienne ou miteuse remplace le pourpoint fatigué du héros en incessantes vadrouilles.

Lysias, intime et secrétaire de Pétrone, recueille les réflexions, les idées ou les propos du maître ce qui permet de savourer les petits et grand ridicules, les défauts amusants ou épouvantables de la bonne société romaine.

Pierre Combescot fait découvrir à son lecteur un Pétrone arbitre des élégances, chef d'orchestre de soupers courus par le « tout Rome », un "détricoteur" de morale, entreprise qu'il maîtrise joyeusement, un démolisseur du langage car, et ça je ne le savais pas, Pétrone est marseillais et a appris dans la cité phocéenne l'argot qu'il emporte avec lui quand sa famille retourne à Rome.

Il ne se contente pas de larder la langue latine avec l'argot marseillais, il ne mégote pas sur les moyens pour prendre le contre-pied des conventions et des idées reçues. Qu'il aime s'amuser des travers des mondains, des gens de pouvoir, des parvenus galérant pour se faire admettre dans les cercles dont il faut être, « the place to be » antienne séculaire de tout bon suiveur de mode. Staphyla dicte Perlette et son époux Fluvius Fluviolus sont des personnages hauts en couleur dignes commensaux pour un dîner de cons.

D'ailleurs, le souper, qu'en est-il ? Selon les critères de la grand-mère de Pétrone, Fabia Maxima, un souper ne peut comporter pas moins de trois invités et pas plus de neuf. Autant dire que son organisation, dans la villa de Cumes, dans la baie de Naples, ne sera pas aisée : qui écarter, qui convier ? Car ce souper ne sera pas les autres : une bouillabaisse servie en prima dona et il sera l'événement marquant la disparition de Pétrone.

Pétrone est un artiste, un esthète, un épicurien qui ne veut pas rater sa sortie. Une réussite parfaite, relatée d'un ton jubilatoire.


« Ce soir on soupe chez Pétrone » est une lecture joyeuse, avec ce qu'il faut de tristesse désabusée, qui m'a emmenée de Marseille à Cumes en passant par Rome, pour un bienfaisant voyage en Italie.


Quelques avis :

Babelio  Sens critique  Critiques libres  

Lu dans le cadre





6 commentaires:

eimelle a dit…

c'est une découverte pour moi, je note!

Katell a dit…

Il traînait dans ma PAL depuis trop longtemps et mon Bibliomane de mari m'en ayant le plus grand bien, je me suis lancée.
J'ai été conquise.

miriam a dit…

Pourquoi pas? Je note

miriam a dit…

Pourquoi pas? Je note

rachel a dit…

Oh, de la bien bonne histoire...oui didonc je note....

Antigone a dit…

Une plongée dans l'histoire qui doit être bien dépaysante ;).