lundi 24 mai 2021

Un palazzo et trois soeurs

 


J'avais beaucoup aimé « Mal de pierres », ce beau souvenir restait en moi et m'a amenée à renouer avec la prose de Milena Agus.

« La comtesse de ricotta » nous conte, dans une atmosphère remplie de nostalgie mélancolique, avec délicatesse la splendeur passée d'une grande famille de Cagliari dont le palazzo se délabre.

Les trois sœurs vivent différemment la perte de la splendeur familiale, les appartements ont été vendus pour ne pas sombre financièrement, elles vivent dans les trois appartements dont elles sont toujours propriétaires.

Noémi, avocate de renom, s'accroche à l'idée de renouer avec le passé et espère pouvoir racheter ce qui a été vendu. Elle vit seule, célibataire, avec l'espoir de rencontrer l'amour de sa vie.

Maddalena est mariée, coud merveilleusement bien et ne vit que pour enfanter un jour. Les plaisirs charnels n'ont qu'un seul but : être enceinte. Elle ne ménage pas ses efforts et entoure de sensualité son époux.

Puis on rencontre la benjamine dite la comtesse de Ricotta, si fragile qu'elle ne va jamais au bout de ses projets. Tout lui échappe des mains, la catastrophe n'est jamais bien loin. Elle élève seule son petit garçon Carlino, avec lequel personne ne veut jouer parce qu'il est décalé et étrange. On pourrait le croire simplet mais on sait qu'il ne l'est pas. Il est simplement différent comme sa maman la Comtesse de Ricotta. Toute petite elle s'intéressait aux misérables, aux contrefaits, à ceux qui vivent aux lisières du monde. Plus tard elle gardait les enfants des femmes pauvres pour qu'elles puissent travailler, la Comtesse de Ricotta devenait alors nounou gratuite au grand désespoir de ses sœurs. Fragile, maladroite, empathique et désespérée de n'arriver à rien.

Pourtant l'espoir demeure : de l'autre côté du mur le voisin, sans se montrer, communique avec Carlino et sa mère. L'amour se trouve-t-il derrière ce mur ?


Milena Agus nous fait glisser, mine de rien, dans un récit au charme incroyable : en quelques phrases, nous sommes dans un autre monde, celui d'un palazzo nobiliaire qui s'effrite dans la mélancolie. La Sardaigne est flamboyante dans les descriptions des paysages que l'on peut admirer depuis la colline du Castello, quartier médiéval où se dresse le palazzo des comtesses. La Sardaigne revêt le voile nostalgie d'un passé révolu quand nous suivons les méandres des sentiments et pensées des trois sœurs.

Leur quête est identique bien qu'elle emprunte des chemins différents, accordant autant de désillusions que d'espoirs. Parfois la tentation est forte de tout laisser tomber et de disparaître dans le bleu de la mer ou le vide de l'oubli. Souvent la vie et ses inattendus redonnent des couleurs au récit, à cette histoire désarmante qu'il nous est impossible de voir triste.

L'idéal n'existe pas sauf dans les contes. Sa quête ne peut apporter de plénitude puisque jamais la satisfaction n'est au rendez-vous. L'amour idéal est un leurre dont le voile obstrue le champ de vision : tant que nous sommes à sa recherche, nous errons sans fin, nous accommodant, peu ou prou, de petits arrangements avec la réalité. Noemi se retrouve confrontée à cela lorsqu'elle rencontre le neveu de leur ancienne gouvernante qui restaurera la façade de la cour intérieure du palazzo.


« La comtesse de Ricotta » se lit et se découvre entre les mots, dans ces espaces silencieux où la rêverie du lecteur est accueillie à bras ouverts. Chacun a une part « ricotta » en soi, une fragilité intrinsèque à assumer ou à dissimuler.

La poésie est présente, elle rythme le récit et lui apporte une lumière tendre et émouvante. Nous naviguons sur cette part merveilleuse laissée au rêve et ce n'est que joie en ces temps qui en manquent beaucoup.


Traduit de l'italien par Françoise Brun


Quelques avis :

Babelio  La bulle de Manou  Italie à Paris  Le blog de Yuko  Sens critique  Le Point  Au milieu des livres

Lu dans le cadre



3 commentaires:

eimelle a dit…

j'aime bien son écriture !

rachel a dit…

Oh tu donnes envie de la connaitre...oooh

Katell a dit…

J'aime également sa sensibilité même si certains lecteurs trouvent son écriture froide.
@Rachel: l'auteure gagne à être lue.