« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » tel pourrait être mon crédo en fin d'année scolaire pour l'écriture de mes billets de lecture.
Autant j'ai lu les romans sélectionnés pour le Mois italien, autant je n'ai pu boucler l'ultime billet dans les temps.
« La peau » de Curzio Malaparte est un roman autobiographique de l'auteur qui raconte l'Italie à la fin de Seconde Guerre mondiale et plus particulièrement la ville de Naples avant et pendant l'éruption du Vésuve qui eut lieu entre les 12 et 21 mars 1944.
Autant dire que je n'ai pu m'empêcher de penser que « La peau » faisait écho à « Ce soir, on soupe chez Pétrone ».
« La peau » est un roman dont la lecture est difficile dans le sens où le style particulier de l'auteur ne permet pas un rythme rapide tant les informations sont foisonnantes et l'univers décrit très particulier.
Le lecteur se retrouve confronté à un décorticage des relations entre les soldats américains et la population italienne : les premiers, empreints d'une grande naïveté, si sûrs d'eux-mêmes et pleinement conscient de la supériorité morale et économique de leur pays, arrivent dans un pays exsangue, à bout de souffle et de forces, qu'ils ne peuvent d'autant plus ne pas comprendre qu'il s'agit de la ville de Naples, ville européenne aux accents d'Inde. Les seconds, épuisés, désespérés au point que le recours à la corruption devient plus criant qu'en période ordinaire. L'auteur assiste à un vrai choc des cultures. Le roman rappelle parfois l'époque néronienne : tout se vend ou s'achète pour survivre ou pour satisfaire une envie de débauche, les élites donnent des dîners alors que la plèbe n'en peut plus de mourir d'inanition.
« Lost in translation » pour les officiers américains pris au dépourvu devant des scènes ahurissantes où les mères vendent leurs enfants pour un pain. Ils ne conçoivent pas un tel spectacle aussi ne peuvent-ils comprendre le fonctionnement de l'économie souterraine napolitaine... ou comment un soldat noir est vendu et revendu à de multiples reprises sans qu'il s'en aperçoivent … ou comment la roublardise dotée d'un zeste de mafia entourloupe le quotidien.
Ils ne conçoivent pas, non plus, l'humour, certes noir et ironique, du plat servi lors d'un dîner donné par le Général Cork aux officiers et officiels américains : une sirène. Ou plus exactement un lamentin, ou un dugong, prélevé dans l'aquarium de Naples, suscitant l'horreur des convives aux portes du cannibalisme : dans une ville où les mères vendent leur progéniture, tout est possible surtout le pire et l'horrifique. Exagération, sens de l'action et du décor, tout y est dans « La peau » de Malaparte et à chaque fois, on se demande où se situe la frontière entre réalité et délire luxuriant du récit.
Malaparte entraîne son lecteur dans un récit rocambolesque, picaresque et fantasmagorique dans lequel l'Enfer de Dante est au coin de chaque ruelle napolitaine, dans lequel le pyromane néronien côtoie la délicatesse de l'art Renaissance, dans lequel une cérémonie imaginaire, la figliata, tourne en orgie.
Naples est une Cour des miracles moderne, un lieu de perdition et d'élévation, une image de l'Italie rongée par le despotisme mussolinien, le désespoir des vaincus. Naples est une allégorie de l'Europe qui s'est perdue dans les illusions du fascisme, qui se perd dans une bacchanale échevelée dans laquelle la morale n'a plus lieu d'être.
Au cours de ma lecture, fastidieuse parfois en raison d'un déluge de mots et d'images emmêlées, j'ai eu souvent l'impression d'évoluer dans un tableau de Cranach ou de Brueghel fourmillant de détails lugubres et surréalistes.
Malaparte peut déconcerter quand on le lit avec nos filtres contemporains, sa lecture en deviendrait presque subversive car l'auteur ne connaît pas les mouvements de libération de la femme, ceux des droits LGBT ni ceux de lutte contre le racisme. Il peut déconcerter et pourtant sa verve est sublime, son écriture joyeusement outrancière et magnifique quand il décrit la chute d'un monde dans tout son panache mortifère et lugubre.
Le lecteur doit trier, seul, le vrai du fantasmé, le réel du rocambolesque, la vérité de l'allégorie.
Traduit de l'italien par René Novella
Quelques avis :
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Lu dans le cadre
2 commentaires:
OMG toute une lecture....mais je pense que je vais passer....;)
Commencé autrefois quand j étais très jeune, je l'avais trouvé très dur et abandonné. 50 ans plus tard je devrais peut être le reprendre
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