Printemps 1940, le 6 avril, un décret du gouvernement de Vichy interdit tout mouvement aux nomades. Une occasion comme une autre d'assigner à résidence les Manouches : en temps de guerre tout ce qui ne se fonde pas dans la norme est suspect.
"La
circulation des nomades est interdite sur la totalité du territoire.
Les nomades, c'est-à-dire toutes personnes réputées telles dans
les conditions prévues à l'article 3 de la loi du 16 juillet 19121, sont
astreints à se présenter sous les quinze jours qui suivent la publication du
présent décret, à la brigade de gendarmerie ou au commissariat de police le
plus voisin du lieu où ils se trouvent. Il leur sera enjoint de se rendre dans
une localité où ils seront tenus à résider sous surveillance de la police.
Cette localité sera fixée pour chaque département par arrêté du Préfet".
Il y a une précision dans
le rapport concernant ce décret, une précision qui fait froid dans le
dos :
"En
période de guerre, la circulation des nomades, individus errant généralement
sans domicile, ni patrie, ni profession effective, constitue, pour la défense
nationale et la sauvegarde du secret, un danger qui doit être écarté".
Le décor est planté, l'histoire peut commencer.
Alba a 14 ans en ce
printemps 1940, elle est depuis des années les yeux de sa mère, elle est
l'aînée, la grande sœur, la seconde maman. Elle ne comprend pas ce qui leur
arrive quand ils reçoivent l'ordre de quitter les lieux, de faire leurs bagages
et de suivre le détachement de gendarmes jusqu'au camp des Alliers, non loin
d'Angoulême.
L'assignation à
résidence, dans un camp entouré de barbelés, est une condamnation à l'exil
intérieur pour les nomades dont l'essence vitale est de parcourir les chemins en
louant leurs bras aux paysans en fonction des saisons. Abandonner les roulottes
et les chevaux pour prendre domicile dans des baraquements est le premier pas
vers l'étiolement et la neurasthénie.
Il n'y aura plus de feux
à la nuit tombée, il n'y aura plus de grands rassemblements, il n'y aura plus
la joie de goûter à la liberté sur les chemins, il n'y aura plus de porte à
porte, il n'y aura plus rien hormis la douleur de l'enfermement dans des
conditions déplorables, hormis la litanie des appels.
Il y a ceux qui rêvent de partir, ceux qui ont choisi de rester, ceux qui se languissent, ceux qui se meurent, ceux qui naissent, ceux qui veulent vivre.
« N'entre pas dans
mon âme avec tes chaussures » est un roman tout en finesse et
sensibilité : l'auteure entre avec délicatesse dans un pan d'histoire de
l'Occupation méconnu et tout aussi détestable. Le décret du 6 avril 1940 est
entré sans permission dans les roulottes, l'âme du peuple Manouche, Tzigane,
pour fouler du pied un peuple que le pouvoir a toujours voulu sédentariser.
Paola Pigani relate à
travers Alba la noirceur des jours passés dans le camp, la noirceur de
l'impétigo et de la gale, la beauté de la moindre miette de couleur, de la
moindre parcelle de vie, la magnificence d'une fierté âpre et sauvage, l'éclat
somptueux des amours naissants.
On rit, on grince des
dents, on pleure, on serre les dents et les poings, on retient son souffle et
on danse envers et contre tout. Le violon perd des cordes, qu'à cela ne tienne,
les chants demeurent et enflent !
Les roulottes et les
chevaux deviennent caravanes et voitures, les chemins deviennent routes
d'asphalte, le voyage continuera pour certains, pour d'autres il s'arrêtera
dans un pavillon ou un appartement HLM car « Alba sent bien qu'il faudrait
pas les pousser trop ses enfants pour ressembler aux gadjés. Ca leur plaît
d'avoir la télévision, une machine à laver et une carte nationale d'identité.
Pour certains, la caravane dans la cour avec des murs tout autour et toujours
le même horizon. Ca peut se comprendre la fatigue de voyager, de ne rien
laisser derrière soi, de ne jamais savoir pour le temps qui reste. »
« N'entre pas dans
mon âme avec tes chaussures », un roman qui rend hommage à ceux qu'il est
trop facile d'effacer de la mémoire collective, un hommage qui évité l'écueil
du pathos et du misérabilisme. Une lecture touchante et belle.
Quelques avis
Babelio Bulle de Manou Bouquivore A propos de livres Liliba Mes belles lectures Mademoiselle Maeve
Le roman était dans ma PAL depuis le confinement de mars dernier.
3 commentaires:
Et bin tout un roman sur les camps...vraiment trop forts
Oui, c'est un pan de l'histoire que l'on connaît très peu. Je vois passer cette auteure sur les blogs sans l'avoir jamais lue. Tu sembles conquise. Une jolie sortie de PAL ! ;)
Merci de nous avoir rappelé ce roman. De plus, il est à la médiathèque.
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