mardi 27 novembre 2007

Le chemin de la perdition

Nous sommes en 1919, la Grande Guerre est terminée mais pas son cortège de douleurs et de sang. Elle a laissé des traces plus profondes que les tranchées où se terraient les soldats, plus profondes que les cratères des obus, plus profondes que les blessures par balle, plus profondes que les sillons de l'enfer. Niska, une vieille indienne qui a conservé le mode de vie traditionnel des indiens Cree, femme-médecine ou chamane, attend le retour de son neveu.
En 1914, Xavier et Elijah s'engagent dans l'armée pour s'en aller combattre sur les champs de bataille de Belgique et du Nord de la France. Commence alors pour eux, une plongée dans l'enfer de l'inhumanité. Le premier se bat en relative harmonie (si tant est que l'harmonie puisse exister dans un tel contexte) avec ses croyances et ses convictions: il tue sans haine, pour se défendre, pour défendre sa vie et accompagne les âmes des soldats sur le chemin de leur autre vie. Le second bascule, peu à peu, dans la jouissance de donner la mort, dans la jouissance du sang, dans la jouissance du sentiment de puissance offert par une lunette sur un fusil, par l'habileté à saisir le moindre bruit pour détruire l'autre. Il rencontre aussi le pouvoir de la morphine, médecine qui fait tout oublier notamment la douleur et la peur, médecine qui peut faire déraper et franchir la frontière qui sépare l'humanité de la cruauté perverse.
Joseph Boyden et ses héros indiens Cree, Xavier, Elijah et Niska, entraînent le lecteur dans les récits croisés de trois destins forts et parfois tragiques.
Les souvenirs des traditions indiennes du Canada, le respect de la nature, l'écoute de cette dernière, alternent avec les récits des combats de la guerre des tranchées. Cette guerre qui brise, hache, biffe les hommes et leur âme jusqu'à en faire des dévoreurs, certes métaphoriques, de chair humaine. Les indiens, vivant dans des conditions extrêmes en hiver, savent combien il est facile de sombrer dans l'obscurité de la faim lorsque la famine menace et les beaux jours encore lointains. Niska en fit l'expérience, enfant, lorsque son père, homme-médecine du clan, fut contraint de soustraire du monde des vivants, une jeune femme (et le bébé qu'elle allaitait) qui trouvant son époux vaincu par le froid glacial le mangea pour survivre: elle était devenue, au yeux de la tribu, une windigo, une âme damnée car ayant goûté à la chair humaine. Xavier, aussi, plus tard, fut témoin de cela et comme son grand-père l'avait fait pour sa tante Niska, cette dernière, devenue à son tour hookimaw (femme-médecine), le laissa regarder la mise à mort d'un homme devenu windigo.
Cette expérience initiatique servira à Xavier lorsqu'il sera clair et évident que Elijah est devenu un windigo, a franchi la frontière qui sépare les êtres humains de l'innommable. Mais Xavier n'a pas terminé son long chemin vers son âme. La guerre lui a infligé une dépendance sournoise: la morphine. Xavier fait partie des six millions de mutilés de guerre: il a perdu une de ses jambes et gagné une immense culpabilité, la mort d'Elijah.
Xavier revient au pays avec son lourd fardeau et une envie de mourir qui inquiète Niska. Au cours des trois jours du voyage de retour vers les immenses forêts silencieuses de l'Ontario, Niska va maintenir la minuscule flamme de la vie dans l'âme de Xavier. Trois jours de voyage en canoë, trois jours de doses de morphine, trois jours d'angoisse, trois jours de récits des champs de bataille, trois jours de récits des jours anciens et heureux lorsque Xavier pistait l'orignal, courait les bois, apprenait à se déplacer sans bruit, à écouter le coeur palpitant de la Nature.
Au terme du voyage, Xavier pourra revivre délivré de son démon, libéré de sa culpabilité en libérant sur le chemin des âmes celle d'Elijah, trop longtemps perdue dans les brouillards de la guerre et de la folie meurtrière. Au terme du voyage, Niska saura que Xavier reprendra le flambeau de hookimaw.
Un premier roman d'une force romanesque étonnante et superbe, emportant tour à tour le lecteur au coeur des forêts enneigées et silencieuses, sanctuaires des traditions millénaires de la sagesse amérindienne et au milieu des hurlements et des déchaînements d'une guerre impitoyable et sanglante. Dès que le lecteur plonge dans le roman, il est aussitôt happé par la puissance du récit et l'extraordinaire vie des personnages (Xavier le taciturne, peu enclin à s'exprimer en anglais, peu désireux d'être assimilé et Elijah le lumineux indien, irréel de beauté et d'élocution facile - il parle anglais mieux que les officiers! - expansif et virevoltant), une vie proche de l'épopée, de l'héroïsme (au sens grec du terme).
Une aventure dont on revient enchanté malgré les horreurs approchées. Une écriture superbe, dynamique autant que poétique, rythmant le récit de longues respirations.



Roman traduit de l'anglais (canada) par Hugues Leroy





Ce livre a été lu dans le cadre du Cercle des Parfumés


18 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore un livre à noter ! J'en avais entendu de bonnes critiques lors de sa parution. Bonne journée Katell !

Anonyme a dit…

Décidement le Biblio et toi vous êtes une vraie mine d'or... vous me donnez à chaque billet envie de lire le roman que vous chroniquez...

Anonyme a dit…

Super idée pour la liste au Père Noël. Je m'empresse de la noter.

Anonyme a dit…

Pour l'instant, il est difficile de trouver des avis peu enthousiastes sur ce roman :)

In Cold Blog a dit…

Cf. mon commentaire laissé ce matin chez le Bibliomane.
Et chez toi, quand je lis "Elijah le lumineux indien, irréel de beauté et d'élocution facile - il parle anglais mieux que les officiers! - expansif et virevoltant)", alors là, je ne peux que succomber ;o)

Anonyme a dit…

Quel enthousiasme, je note !

Malice a dit…

Oui moi aussi cela fait un moment que je l'avais repéré ce livre ! J'espère que je pourrais le lire un jour ! car bien tentant!

Anonyme a dit…

Tu me fais penser que je l'ai sur ma LAL, suite au billet d'Antigone, et j'espère que très bientôt, peut-être à Noël, je pourrais me plonger dans ce roman !! ;-)

Anonyme a dit…

Bien que cela ait l'air d'un très beau roman, je passe encore sur ce roman de guerre.

Anonyme a dit…

Je reviens te lire plus tard, il est dans ma PAL ! Si tout va bien son tour approche ;-)

Anonyme a dit…

et hop...un livre de plus sur ma LAL!!!c'est horrible, elle ne désemplit pas...Tes chroniques sont très bien écrites, à chaque fois elles me donnent envie de me précipiter à la bibliothèque ou à la librairie!!!

Anonyme a dit…

Un autre chemin de la perdition c'est celui ci http://www.binarycoffee.com/blog/?p=161

Katell a dit…

@lucy: eh oui :-p mais il est excellent!
@malorie: serions-nous de diaboliques tentateurs? Hélas, dans le coin, nous ne sommes les seuls ;-D...et on ne s'en plaint pas!
@maijo: je sens qu'elle va être longue de titres glanés sur les blogs, non?
@joelle: oui, je n'en ai guère lu :-)
@incoldblog: alors il ne faut pas résister :-D
@cathulu: oui, oui, note!
@malice: il est très bien écrit, très bien documenté et avec uen force romanesque incroyable...bref, j'aime tout simplement ce roman :-p
@florinette: le Père Noël va devoir écumer les librairies ;-)
@moustafette: il est vrai que la guerre y est très présente et je comprends ta réticence :-) Bonne journée Mous merci d'être passée faire un petit tour chez moi !
@gachucha: je te souhaite une belle lecture :-D
@jumy: je ne cesse d'allonger ma LAL chaque jour...c'est désespérant mais je ne peux m'en empêcher!

CalipSo Créations a dit…

Ouh la la me voila bien tentée! Comme si je n'en avais pas assez dans ma PAL/LAL...
Choupynette

Anonyme a dit…

Difficile de rajouter un mot à ton commentaire épatant! Moi aussi,j'ai adoré ce livre si original et qui nous dévoile une autre vision de la Grande Guerre.
A conseiller largement,hé oui les LAL augmentent dangereusement pour certaines mais bon,c'est notre plaisir,alors...
Carson

Sophie a dit…

C'est vrai que c'est un livre magnifique et surprenant.

Anonyme a dit…

Ce livre est dans ma LAL depuis un moment déjà. Mais aprés avoir lu ton billet des plus élogieux et remarquablement bien écrit, je me l'achète pour noël.

Katell a dit…

@choupynette/Calypso: c'est l'horreur des blogs littéraires...plus on y flâne plus les carnets se remplissent!
@carson: coucou Carson :-D Oui un livre vraiment superbe et qui ne doit pas rester sur la PAL!
@sophie: n'est-ce pas ;-) je l'ai dévoré!
@la liseuse: j'espère qu'il n'oubliera pas de le déposer dans ton chausson la nuit du 24 ;-)
Merci pour ton gentil compliment (les mots roudoudous font toujours plaisir!)