samedi 17 novembre 2007

L'oiseau blanc et l'ombre du cheval

"Chaque année, quand le printemps s'éveille sur l'Ararat où a échoué l'Arche de Noé, les bergers viennent dès l'aube au bord du lac de Kup et jouent de la flûte, pour célébrer le Mont. Au coucher du soleil, un mystérieux oiseau blanc vient par trois fois toucher l'eau de son aile, et disparaît dans le ciel. Alors les bergers se retirent." Ainsi parle la légende.
Toute légende a ses racines dans un fait réel, toute légende se voit un jour revécue.
Un matin, un superbe cheval blanc, richement harnaché, attend devant la porte d'Ahmet le berger. A qui peut-il bien appartenir? A un puissant, c'est certain. Par trois fois, le père Sofi tente d'éloigner le cheval blanc, par trois fois ce dernier est revenu attendre devant la porte d'Ahmet le berger. La tradition veut qu'alors l'animal appartienne, définitivement et sans conteste, à celui qui a été choisi....Ahmet en l'occurrence. Ce qui n'est pas du tout du goût du pacha, de Mahmout pacha, cruel despote inféodé aux Ottomans à qui il doit son pouvoir.
Ainsi, le beau cheval blanc, va-t-il devenir la pomme de discorde entre le riche et le pauvre, entre le juste et l'injuste, entre le Bien et le Mal, entre le fort et le faible, entre la liberté et le despotisme. Mahmout pacha, ivre de pouvoir, de richesses, irascible despote, n'aura de cesse d'anéantir Ahmet le berger. Aussi, le fera-t-il emprisonner, après avoir mis aux fers ses proches, au mépris des promesses et du droit. Mais Ahmet ne plie ni ne rompt provoquant la colère du pacha. Colère décuplée quand ce dernier apprend que sa fille, Gulbahar, follement éprise d'Ahmet, a bravé tous les interdits pour lui appartenir. Mahmout pacha est seul, isolé dans sa haine, malgré les grondements sourds et inquiétant de l'Ararat, mont sacré aux terribles colères, mêlés à ceux de la foule descendue des montagnes pour soutenir Ahmet. En effet, Mahmout s'est mis à dos non seulement le menu peuple, attaché aux traditions et coutumes immémoriales, mais encore les personnalités religieuses et les beys.
Yachar Kemal raconte des histoires éternelles: la lutte entre le fort et le faible, l'amour impossible entre un berger et une princesse. Bien entendu, Mahmout pacha demandera l'impossible à Ahmet: se rendre au sommet de l'Ararat, là où les hommes un jour dérobèrent le feu, et d'en rapporter la preuve. S'il en revient vivant, muni de la preuve, il aura non seulement la vie sauve mais pourra épouser Gulbahar la Souriante. L'Ararat se laissera-t-il conquérir par l'amant désespéré? L'Ararat aura-t-il pitié des amours impossibles?

Avec des mots d'une intense poésie, Yachar Kemal, fait revivre une sublime légende, rappelant les amours de Tristan et Yseult, la transformation de la fée Mélusine et le vol du feu perpétré par Prométhée. Il emmène le lecteur aux confins de la montagne, aux confins des plaines turques, aux confins de l'imaginaire des hommes. Il permet un sublime voyage au pays de l'enfance, où les contes et légendes ensemencent l'imaginaire, cet imaginaire qui nourrit les hommes, cet imaginaire indispensable pour grandir et mûrir.
Une lecture qui laisse un sillage doux et rafraîchissant. Un auteur à découvrir et à apprécier.

La scène d'ouverture:

"Il est un lac sur le flanc du Mont Ararat, à quatre mille deux cents mètres d'altitude. On l'appelle le lac de Kup, le lac de la Jarre, car il est extrêmement profond, mais pas plus grand qu'une aire de battage. A vrai dire, c'est plus un puits qu'un lac. Il est entouré de toutes parts par des rochers rouges, étincelants, acérés comme la lame du couteau. Le seul chemin menant au lac est un sentier, creusé par les pas dans la terre battue, moelleuse, et qui descend, de plus en plus étroit, des rochers jusqu'à la rive. Des plaques de gazon vert s'étalent çà et là sur la terre couleur de cuivre. Puis commence le bleu du lac. Un bleu différent de tous les autres bleus; il n'en est pas de semblable au monde, on ne le retrouve dans aucune eau, dans aucun autre bleu. Un bleu marine moelleux, doux comme le velours.
A la fonte des neiges, chaque année, quand le printemps ouvre les yeux, quand une immense fraîcheur explose sur l'Ararat, les rives du lac et leur mince couche de neige se couvrent de petites fleurs au parfum pénétrant. Leurs couleurs sont éclatantes. Même la plus petite flamboie, bleue, rouge, jaune, violette; son éclat se voit de très loin. Les eaux bleues du lac, la terre couleur de cuivre répandent des parfums d'une violence enivrante. Des senteurs que l'on perçoit de très loin."
(p 9 et 10)


Roman traduit du turc par Munevver Andac


Le Bibliomane l'a lu aussi et a écrit un excellent commentaire.
Ce livre a été lu dans le cadre du Cercle des Parfumés



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